Dans la cour, le soleil est encore agréable quand les premiers visiteurs montent l’escalier de pierre. L’ambiance est bon enfant, détendue. En présence de Pierre Deniziot – conseiller régional d’Île-de-France en charge des questions de handicap – la fondation accueille les lauréats des Prix Sisley-Jérôme Lejeune et Jeune chercheur-Jérôme Lejeune. Maud et Maguelonne, porteuses de trisomie 21, sont spécialement venues donner un coup de main. Les deux jeunes filles sont tout sourire dans leur rôle d’hôtesses d’accueil.
Depuis sa création il y a six ans, le Prix Sisley-Jérôme Lejeune récompense un scientifique qui a consacré ses recherches à la déficience intellectuelle d’origine génétique. C’est l’ensemble de son travail et de sa carrière qui est récompensé.
Au-delà de ses compétences et de son palmarès scientifique, le lauréat de cette année n’est pas une personnalité banale. En effet, pour le professeur Alberto Costa, la vie a basculé en juin 1995, à la naissance de sa fille Tychie. Tychie est porteuse de trisomie 21. Aussi très vite, son père se met en quête de devenir « une personne qui pourrait un jour aider les personnes qui partagent la même pathologie que ma fille ». Médecin, il va en quelques années reprendre tout ce qu’il a appris pour devenir un chercheur dans le domaine très spécialisé et peu exploré de la trisomie 21. Il est aujourd’hui
professeur de pédiatrie dans le département de Pédiatrie neurologique de la Case Western University à Cleveland dans l’Ohio (États-Unis). Sur un plan scientifique, il se rappelle : « J’ai entrevu le premier rayon d’espoir pour que quelque chose se passe quand j’ai commencé à lire les travaux du Professeur Lejeune ».
Ses travaux sur la trisomie 21
Tout au long de sa carrière, sa fille reste sa première source d’inspiration et une force pour ouvrir de nouveaux chemins thérapeutiques : « Je dis que je porte trois casquettes. Je suis médecin de formation, je suis chercheur de profession et je suis père ». Et il ajoute : « Je regarde la personne trisomique comme une personne avec une pathologie qui affecte son système nerveux et une partie de son corps de nombreuses façons, c’est la partie médicale. Mais je la vois aussi comme une personne qui est soumise à ce désordre génétique qui s’appelle la trisomie 21 et qui affecte plusieurs systèmes de son corps, dont le système nerveux. Ces différents points de vue se répondent ».
De fait, très vite, Alberto Costa va quitter les sentiers battus : « Ma fille m’a permis de m’intéresser à de nombreux aspects auxquels personne n’avait encore réfléchi ». Alors jeune chercheur, il travaille sur le fonctionnement de modèles de souris trisomiques. Dans l’équipe, la plupart de ses collègues se penchent sur les questions de mémoire et d’apprentissage. Le Professeur Costa, quant à lui, porte une attention particulière aux fonctions motrices, le développement psychomoteur étant critique pour le développement de nombreuses fonctions utiles pour la vie en société et l’autonomie. Des choses qui semblent aller de soi « comme le fait pour un enfant de jouer avec un autre. Les deux courent ensemble… Et tout à coup, vous regardez votre fille, elle ne peut pas courir comme les autres, pas aussi vite, elle ne peut pas monter les escaliers aussi bien ». Il va essayer de reproduire ses observations et ses évaluations sur les modèles animaux. Ce sera le début d’un long chemin.
Le choix du jury
Cette année, dix dossiers ont été retenus pour le Prix Sisley-Jérôme Lejeune, tous de très haut niveau. « Le choix est toujours difficile, explique le professeur André Mégarbané qui était cette année Président du jury, mais nous cherchons à récompenser des travaux innovants, intéressants à poursuivre ou qui pourraient aboutir ». Le jury retient l’un des projets d’Alberto Costa : un essai, d’abord mené sur des souris, utilisant une molécule, la mémantine. Ce produit déjà approuvé réglementairement, avec un profil de tolérance sûr, est testé pour traiter la maladie d’Alzheimer. Le pré-travail clinique effectué sur les souris est prometteur : les souris testées vont présenter une amélioration très nette de leurs fonctions cognitives qui, à l’inverse, s’estompent dès que le traitement est arrêté. Le protocole s’enrichit et un nouvel essai est mené auprès de 40 patients : 20 d’entre eux recevant la mémantine, les autres prenant un placebo. Seule la mémoire a été améliorée de façon significative. Le professeur Costa est encouragé pour la suite : « Nous avons vu statistiquement que si l’essai avait été plus important, deux ou trois fois plus important, nous aurions pu potentiellement voir ses effets sur cinq mesures différentes de critères de cognition. Et c’était un traitement court, de quatre mois seulement ! ». Aujourd’hui, dans la même ligne, un nouvel essai se met en place conjointement aux États-Unis et au Brésil. Cet essai doit concerner 200 patients, adolescents et jeunes adultes porteurs de trisomie 21. Alberto Costa pense pouvoir disposer de premiers résultats d’ici deux ans.
Les travaux de l’équipe du professeur Costa portent aussi sur des cellules extraites de l’urine d’adultes atteints de trisomie. « Grâce à ces études, nous avons pratiquement réussi à différencier en IPS ces cellules épithéliales qui proviennent des reins. Nous avons pu les différencier en cellules pluripotentes qui sont très proches des cellules souches. À ce moment-là, nous pouvons les différencier en plusieurs sortes de cellules, notamment en neurones glutamanergiques, qui sont comme des neurones du cerveau. Nous avons aussi réussi à les dériver en cardiomyocytes, c’est-à-dire des cellules du coeur ». Ce procédé est très utile car il permet d’évaluer des concepts (modélisation) à partir de cellules de patients qui conservent de façon stable le chromosome supplémentaire.
Rencontre avec les médecins de l’Institut
Avant la remise du Prix, une table-ronde organisée autour de plusieurs médecins de l’Institut Jérôme Lejeune (généticien, neuropsychiatre et gériatre), a été l’occasion de présenter les différents programmes de recherches de l’Institut et d’intégrer le professeur Costa au débat.
Très concerné par la recherche génétique car lui-même porteur d’une maladie génétique, Pierre Deniziot, neuropsychologue, maire-adjoint de Boulogne-Billancourt et conseiller régional d’Île-de-France en charge des questions de handicap, a souligné l’importance de la recherche :
« Chaque avancée dans un domaine particulier est à même de faire avancer la recherche en général… Nos sociétés pourront mieux accepter les personnes différentes si elles sont en capacité de mieux les comprendre. C’est tout l’intérêt de la recherche… En aidant à cette meilleure compréhension, la recherche joue aussi un rôle sociétal ».
Avant de remettre le Prix Sisley-Jérôme Lejeune au professeur Costa, Mme d’Ornano rappelle que ce Prix manifeste la volonté des deux fondations Sisley et Jérôme Lejeune de favoriser de nouvelles voies de recherche dans le domaine des déficiences intellectuelles d’origine génétique.
Un grand jour
Maguelone et Maud sont prêtes pour fêter la remise du Prix, portant les plateaux de petits fours. Derrière elles déjà, on entend les bouchons de champagne…
Le professeur Alberto Costa se réjouit : « C’est un grand jour, c’est vraiment un grand jour pour moi, parce que ça me rapproche beaucoup de l’homme qui a tout commencé ». Il ajoute : « Je me sens un peu démuni parce que j’aurais aimé pouvoir remercier le Professeur Lejeune de vive voix pour tout ce qu’il a fait : il a permis de grands pas dans ce domaine de recherche »
[Retrouvez cet article dans la lettre de la Fondation du mois de mai 2016]