Le 10 mars, au Parlement européen, Mara Dierssen et Raphael de la Torre font un point sur l’avancée du projet Tesdad. La Fondation Jérôme Lejeune s’est investie depuis le début dans cette initiative scientifique, finançant une grande partie des travaux. Retour sur l’histoire de ce projet et ses premiers résultats.
La recherche médicale est d’abord l’histoire de personnes passionnées par un sujet et dévouées à leurs patients.
C’est le cas du Professeur Mara Dierssen. Chef du groupe d’analyse neurocomportemental au sein du programme « Gène et pathologies » du Centre de Régulation Génomique (CRG) de Barcelone, Mara est une scientifique très investie auprès des personnes atteintes de trisomie 21.
Cette femme énergique et déterminée a véritablement à cœur de mettre au point un traitement et plus largement à faire avancer la cause des personnes atteintes de maladies génétiques de l’intelligence. Pour preuve le disque qu’elle a publié il y a quelques temps avec son groupe de musique où les chansons avaient été écrites par des personnes trisomiques.
- Parier sur une intuition
En 2010, les Fondation Sisley et Jérôme Lejeune récompensent ses travaux qui se situent dans la droite ligne des travaux pionniers du Professeur Jean Delabar. L’objectif de ces recherches est de trouver une ou plusieurs molécules permettant d’améliorer les capacités intellectuelles chez les patients atteints de trisomie 21. Parmi les gènes surexprimés chez ces patients, plusieurs sont suspectés d’être en partie responsables des déficits intellectuels dont ils souffrent. L’un d’entre eux, le gène DYRK1A, code pour une enzyme impliquée dans le contrôle du fonctionnement des cellules neuronales et du développement cérébral. Les chercheurs émettent alors en 2009 l’hypothèse que la limitation de la production de cette enzyme DYRK1A devrait réduire le dysfonctionnement intellectuel du patient. La Fondation soutient cette intuition et finance les recherches du Professeur Jean Delabar. Les tests menés sur les modèles de souris trisomiques confirment bien le rôle du gène DYRK1A. Sur ces souris, l’inhibition de DYRK1A améliore leurs comportements. La preuve de concept est faite.
Mara Dierssen joue un rôle important dans ces études en apportant une contribution significative à la définition du rôle physiologique et aux effets dose-dépendants des gènes du chromosome 21 sur le développement neuronal, l’apprentissage, la mémorisation et les processus neurodégénératifs.
A la suite de ces premiers travaux, Mara Dierssen veut aller plus loin. Jean Delabar a identifié un inhibiteur naturel de DYRK1A – Epigallocathéchine gallate (EGCG) – qui est extrait du thé vert. C’est un produit sans aucune toxicité, présentant une grande sécurité. Elle va donc initier un essai clinique à visée thérapeutique. Elle démarre alors la conception et la mise en place d’un premier essai clinique chez l’homme.
Cinq ans après, elle évoque en souriant le soutien de la Fondation Jérôme Lejeune dans l’élaboration de cet essai clinique : « Vous aviez confiance en ce projet et c’était le plus important. Vous avez parié sur cet essai. » En effet, convaincue que son hypothèse est bonne et qu’il est temps de lancer les premiers essais cliniques sur l’homme, le Professeur Mara Dierssen et son équipe manquent cependant cruellement de moyens pour élaborer l’essai et le conduire. La Fondation, qui connait bien le dossier qu’elle suit depuis l’origine, décide de soutenir le projet et d’apporter son aide financière et sa contribution scientifique et médicale.
- Une étude ambitieuse
Mara Dierssen s’associe pour conduire son essai à Rafaël de la Torre, directeur du programme de Recherche en pharmacologie et neurosciences cliniques humaines à l’IMIM ( Institut Hospital del Mar d’Investigacions Medices) à Barcelone. Ensemble, ils conçoivent et mettent en place l’essai clinique TESDAD. Une cohorte de 87 patients atteints de trisomie 21 âgés de 18 à 30 ans est constituée. Les patients qui sont inclus dans le protocole de l’étude sont tous traités pendant un an à base d’EGCG et certains d’entre eux, 27 exactement, sont soumis à des explorations complémentaires de neuro-imagerie (résonnance magnétique fonctionnelle, IRM) et de neuro-physiologie (stimulation magnétique transcrânienne, TMS).
Les premières analyses de TESDAD sont d’ores et déjà prometteuses. Elles montrent une amélioration de la mémoire et des fonctions exécutives comme la prise de décision. Confiants dans les résultats de TESDAD, Rafaël de la Torre et Mara Dierssen pensent déjà à engager la seconde partie de l’étude qui portera sur deux groupes d’enfants atteints de trisomie 21. Le premier prendra en charge des patients âgés de 2 à 6 ans et le second des patients âges de 6 à 12 ans.
- Donner une dimension européenne à la recherche
A l’issue de cette première étape de l’essai clinique, Mara Dierssen et Rafael de la Torre souhaitent donner une nouvelle impulsion à leur recherche et en accélérer le cours. Ils visent les institutions européennes.
La Direction Recherche est susceptible de sélectionner leur projet et de dégager des budgets. Ils déposent alors en septembre 2014 le projet ID-THERA. Ce projet « global » et multicentrique, dans le prolongement de l’essai TESDAD vise à approfondir les résultats déjà obtenus, grâce à l’élaboration d’outils plus adaptés, au développement de nouveaux essais sur d’autres cohortes et à la mise au point de techniques de stimulation en complément du traitement EGCG. Malgré les premiers résultats prometteurs, les instances européennes refusent le projet.
La Fondation Jérôme Lejeune, soucieuse de voir ce programme aboutir, étudie l’hypothèse d’un nouveau soutien, aux équipes de Rafaël de la Torre et de Mara Dierssen. A la suite d’un rendez-vous à Barcelone fin janvier avec l’équipe de chercheurs, la Fondation et l’Institut réfléchissent aux conditions techniques et financières pour fonder un nouveau partenariat avec cette équipe de pionniers qui a su mener à bien une première expérience scientifique prometteuse.
Question à Mara Dierssen
Auriez-vous pu imaginer conduire un essai clinique sur la trisomie 21 ?
M. Dierssen : A la base, je suis médecin. Je suis diplômée de l’école de médecine de l’Université de Cantabria. J’ai donc toujours eu en tête que le but ultime de mes recherches étaient qu’elles soient utiles pour l’homme. Mais, depuis que je travaille dans la recherche préclinique, j’ai pu constater combien il était difficile et très long de pouvoir obtenir des résultats cliniques utilisables. C’est donc un cadeau incroyable de pouvoir conduire un essai clinique !
- La naissance d’une collaboration
Comment votre collaboration a-t-elle commencée ?
M. Dierssen : Après la publication de Jean Delabar sur l’effet de l’EGCG sur les souris modèles nous commencions à utiliser nos propres souris-modèle et nous pouvions approfondir ses conclusions. J’ai donc décidé de commencer un essai clinique. Je suis alors allée faire un tour au second étage de notre immeuble au département de neuropharmacologie. Rafaël était là, je lui ai expliqué le projet et je me souviens très bien de son intérêt pour l’essai et les implications neurobiologiques importantes que celui-ci pouvait avoir. Cet intérêt était crucial. J’ai finalement eu l’opportunité de commencer l’essai clinique avec un produit sûr et un énorme travail biologique en appui pour guider l’ensemble du travail. Pour moi, ce fût une expérience extraordinaire. Pas seulement parce que cette collaboration était scientifiquement passionnante et excitante, mais aussi parce que j’ai appris tellement en neurobiologie, pratique clinique et interprétation ! A mon sens, que les meilleurs des cliniciens travaillent sur la trisomie 21 est la meilleure des réponses surtout quand, comme sur cette étude, cela peut réellement faire la différence dans la vraie vie.
R. de la Torre : Quand Mara est venue me voir il y a six ans pour me proposer ce projet sur le thé vert, j’avais envie de prendre un nouveau tournant dans ma carrière. A cette époque, j’étais sur le point de terminer deux études, l’une en pharmacologie clinique, l’autre sur la cognition. 20 ans dédiés à la cognition et 15 ans passés à la recherche clinique sur la nutrition. En fait, Mara était là au bon endroit, au bon moment. Son projet était le lien parfait entre la nutrition et la cognition, c’était idéal. A cette époque, ma connaissance des maladies génétiques de l’intelligence était superficielle. L’enthousiasme contagieux de Mara m’a aidé à combler ces lacunes.