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Il était une fois une trisomie 21 : le récit de la découverte

Il était une fois une trisomie 21 : le récit de la découverte

A l’occasion des 20 ans du départ de Jérôme Lejeune, retour sur la découverte de la trisomie 21.

« Je n’ai plus qu’une seule solution pour les sauver, c’est de les guérir. La tâche est immense mais l’Espérance aussi. » ; « Nous trouverons. Il est impossible que nous ne trouvions pas. C’est un effort intellectuel beaucoup moins difficile que d’envoyer un homme sur la Lune. »
Professeur Jérôme Lejeune

Le Professeur Jérôme Lejeune fut un homme habité d’un esprit scientifique, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire d’un esprit curieux et inventif. Ce sont ces qualités qui expliquent pourquoi il a été retenu sans contestation comme le premier à avoir décrit la première anomalie chromosomique liée à une pathologie – la trisomie 21.

Ces qualités de scientifique ont fait de lui un novateur en matière de recherches chromosomiques, défrichant toujours plus en profondeur le champ nouveau de cette cytogénétique qu’il aidait à créer, et qu’il a puissamment marquée de son empreinte.

Les circonstances de la découverte

Rappelons brièvement d’abord les circonstances dans lesquelles s’est faite cette découverte : en 1952, le jeune médecin Jérôme Lejeune vient d’achever son service militaire et cherche un poste. C’est alors que le Professeur Raymond Turpin (1895-1988), qui voit en Jérôme Lejeune un jeune médecin de talent, lui propose de rejoindre son service de pédiatrie à l’hôpital Trousseau. Le Professeur Turpin fait nommer Jérôme Lejeune stagiaire de recherche au CNRS et l’intègre en 1953 dans son équipe pour qu’il s’occupe des enfants mongoliens.

L’entrée du Dr Jérôme Lejeune dans l’équipe du Pr Raymond Turpin fut décisive pour sa carrière puisque le Pr Turpin s’intéressait à la génétique, et au « mongolisme » (Down syndrome), et avait formulé dès 1937 l’hypothèse d’un lien entre mongolisme et anomalie chromosomique. En étudiant les dermatoglyphes des enfants mongoliens ils en déduisirent que l’anomalie devait survenir dès la constitution de l’embryon, ce qui était en faveur d’un lien entre le mongolisme et une altération chromosomique.

En 1956, une jeune cardiologue, Marthe Gautier, rejoint le service du professeur Turpin à mi-temps. Elle apporte des États-Unis une technique de culture cellulaire. Pendant 2 ans, Jérôme Lejeune et elle travaillent à l’amélioration de cette technique. Grâce à cette technique Jérôme Lejeune va enfin pouvoir démontrer l’origine chromosomique du mongolisme qu’il a présenté dans ses publications précédentes…

47 chromosomes !

Le carnet d’analyse qu’il commence le 10 juillet 1957 indique à la date du 22 mai 1958 qu’il parvient à identifier pour la première fois sur un enfant mongolien la présence de 47 chromosomes au lieu des 46 normalement trouvés. Il identifie deux nouveaux cas de chromosomes additionnels sur ce qui sera appelé la 21e paire en décembre 1958, après un séjour de 3 mois aux États-Unis.

Ainsi, à 32 ans, Jérôme Lejeune, en identifiant ce petit chromosome en excès dans les noyaux des fibroblastes d’un enfant mongolien, venait de faire une découverte d’importance historique dont il ne saisissait lui-même pas encore bien toute la portée.

Pour la première fois dans l’histoire de la génétique, un lien était ainsi établi entre un handicap mental et une anomalie chromosomique. Cette découverte constituait le point de départ de la grande aventure de la cytogénétique.

La communication au monde médical de la découverte sera faite le 26 janvier 1959.

Ce jour là, Jérôme Lejeune, Marthe Gautier et Raymond Turpin, dans cet ordre d’auteurs, présentent à l’Académie des Sciences une étude sur « les chromosomes humains en culture de tissu » dans lequel ils rapportent un nombre diploïde normal de 46 chromosomes chez six garçons et deux filles non mongoliens, tandis que chez trois garçons mongoliens le nombre chromosomique trouvé est de 47, « à cause de la présence d’un très petit chromosome supplémentaire, le 21 » qui rend, du reste, le diagnostic du sexe chromosomique impossible. Jérôme Lejeune est le premier auteur de la présentation, ce qui implique qu’il est considéré et reconnu comme l’auteur de la découverte, Marthe Gautier vient en second, en tant que collègue ayant fourni à Jérôme Lejeune les photographies des chromosomes, et Raymond Turpin vient en troisième, ainsi qu’il est d’usage pour tout chef de laboratoire, sans que cela implique d’ailleurs une participation directe à la découverte, ce qui n’avait pas été le cas.

Le 16 mars 1959, une autre note sera présentée par les mêmes auteurs, et dans le même ordre, toujours à l’Académie des sciences, confirmant la première publication et décrivant cette fois la présence des 47 chromosomes chez des enfants mongoliens.

La communauté scientifique prend dès lors la mesure de cette découverte, et salue en Jérôme Lejeune, premier auteur de ces deux notes, le découvreur de la trisomie, cependant qu’on reconnait en Marthe Gautier, second auteur des notes, la personne qui a rendu l’étude techniquement possible.

La reconnaissance du rôle primordial joué par Jérôme Lejeune dans la découverte de la trisomie 21 chez les enfants atteints de mongolisme ne souleva en fait aucune objection. En particulier, ni Raymond Turpin, ni Marthe Gautier ne le contestèrent.

L’attribution de la paternité de la découverte de ce qui sera désormais appelé « la trisomie 21» à Jérôme Lejeune (premier auteur de l’étude) n’a jamais été contestée. Ce n’est que plus tard, en 1977, que Raymond Turpin cherchera à tirer à soi la paternité de la découverte, sans toutefois exprimer de revendication ou d’accusation contre Jérôme Lejeune. Et c’est encore plus tard, en 2009, année du 50 ème anniversaire de la découverte de la trisomie 21, que Marthe Gautier entreprendra une révision de l’évènement, pour mettre en avant sa part dans la découverte de 1959.

 

Reconnaissance de l’importance de la découverte de Jérôme Lejeune

La découverte faite par Jérôme Lejeune du lien entre trisomie 21 et mongolisme eut rapidement un grand retentissement, car elle donna le coup d’envoi à toute une recherche sur l’origine chromosomique de différentes affections congénitales, avant de se prolonger en s’amplifiant dans la recherche sur l’origine génétique de nombre de pathologies. C’est elle qui a ouvert la voie à la science nouvelle de la cytogénétique, basée sur l’étude du « caryotype » des individus (arrangement standard de l’ensemble des chromosomes d’une cellule, étudiés microscopiquement) dont le développement exponentiel a permis de reconnaître l’origine chromosomique de nombre de maladies congénitales.

 

La valeur de cette découverte, et le rôle primordial qu’y avait joué Jérôme Lejeune, furent d’ailleurs soulignés au niveau international par l’attribution au Pr Lejeune – et à lui seul – de prix prestigieux dont le prix William Allen. Jean de Grouchy, au lendemain de la mort du Professeur Lejeune, écrivant dans Médecine et Sciences un article à sa mémoire, le reconnaitra une nouvelle fois comme le découvreur incontesté de la trisomie 21.

 

Le drame pour Jérôme Lejeune

Cela a été de voir sa découverte utilisée en sens contraire de ce pourquoi il l’avait faite.

Jérôme Lejeune avait espéré, une fois trouvée l’origine chromosomique du manque de développement cognitif chez les trisomiques 21, pouvoir en déduire une thérapeutique qui aurait permis de réduire ce déficit cognitif ou même de le neutraliser. On a préféré mettre à profit la possibilité de diagnostic de la trisomie, que permettait la découverte de Jérôme Lejeune, pour faire le travail le plus facile et le plus négatif possible : détruire l’enfant trisomique dans l’utérus maternel.

Ce n’est que récemment que, grâce aux progrès faits en thérapie génique dans la mise au silence de certains gènes, on a commencé à aborder une tentative de soin par mise au silence des gènes du chromosome supplémentaire. Ces travaux font espérer qu’un jour il sera possible de traiter un embryon affecté d’une trisomie.

La découverte du Professeur Jérôme Lejeune aurait en ce cas trouvé son débouché positif après des années consacrées à pourchasser la trisomie 21 et à l’éliminer.


Par Mgr Jacques Suaudeau. Chercheur, médecin, ancien directeur scientifique de l’Académie Pontificale pour la Vie


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