Quelque fois je m’interroge sur l’avenir de la Fondation Jérôme Lejeune en me demandant si, un soir, le soleil ne refermera pas les branches d’or de son rouge éventail sur une œuvre achevée. On peut envisager deux types de fins. La première est espérée par la pensée progressiste : demain quand il ne naîtra plus un seul enfant handicapé grâce au dépistage anténatal systématique, généralisé et obligatoire, il n’y aura plus besoin de consultation spécialisée pour eux, ni de recherches pour trouver comment les guérir. La seconde est imaginée par une pensée plus conservatrice : demain quand on aura découvert enfin un traitement, par exemple pour les enfants trisomiques, la Fondation aura rempli son office et pourra s’effacer. Autrement dit, on aura réglé tous les problèmes soit en faisant disparaître les handicapés, soit en faisant disparaître le handicap.
Mais la vie ne marche pas comme ça. D’abord parce que le système de dépistage le plus performant n’empêchera jamais la naissance d’enfants inattendus. Il y aura toujours des parents généreux qui accueilleront des enfants assez facétieux pour avoir dissimulé les imperfections de leurs gènes jusqu’au dernier moment. Ensuite, parce qu’hélas je ne crois pas, pour reprendre l’exemple de la trisomie, qu’une solution technique, en l’occurrence un traitement que nous appelons de nos vœux, vienne à bout de la folie des hommes.
Nous sommes dans une contre-civilisation qui a intériorisé la barbarie. On le voit avec l’avortement devenu quasiment libre et gratuit. Avec la recherche sur l’embryon qui a fait de l’homme un modèle de laboratoire pour remplacer l’animal. Avec l’euthanasie maintenant : « je ne serai pas à l’école après-demain parce qu’on débranche ma grand-mère aujourd’hui » dit une petite fille.
C’est la nature même de l’homme qui est remise en cause de manière inédite. L’homme réel est sacrifié tous les jours à l’homme idéal. Hier la race, aujourd’hui le génome, demain la dignité et l’aptitude au bonheur ou n’importe quel autre arbitraire …
C’est pourquoi je pense que la Fondation Jérôme Lejeune a encore de nombreux jours devant elle. Sous la dictature d’un nouveau monde qui se dessine avec une prétention plus ou moins posthumaniste, nos descendants auront à faire face à des situations complexes et très difficiles humainement. Qui les aidera ? Certainement pas une médecine qui dîne avec le diable. Ni des élites morales et politiques qui ont choisi d’accompagner plutôt que d’enseigner la vérité. Déjà, nous expérimentons que la Fondation et l’Institut médical Jérôme Lejeune, où l’on s’efforce de joindre le geste qui soigne à la parole qui explique, sont le lieu d’une énorme confiance, chaque jour renouvelée depuis vingt ans de la part d’une population en demande constante. Mais nous avons le sentiment d’être terriblement seuls dans une nuit de plus en plus sombre.
Enfin pas complètement… Ainsi, cette élève avocate, dans un concours de plaidoiries, qui a défendu les personnes trisomiques contre la stigmatisation du Conseil supérieur de l’audiovisuel, et cité Jérôme Lejeune en apothéose. Magnifique insolence de vivre. Il y a dans le ciel le plus noir des griffures de diamant.
Jean-Marie Le Méné
Président de la Fondation Jérôme Lejeune – Twitter @jmlemene