Bioéthique. Chaque semaine, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, analyse pour Valeurs actuelles l’actualité du transhumanisme.
Si l’on en croît les journaux qui en noircissent leurs colonnes, l’actualité serait marquée par un duel « à morts » entre ceux qui pensent que l’euthanasie trahit les valeurs républicaines et ceux qui pensent qu’elle les respecte. C’est voir les choses par le petit bout de la lorgnette. Dans la mesure où il n’est pas interdit de supprimer des êtres humains dans leur extrême jeunesse et sans justification, a fortiori rien ne devrait s’opposer à la suppression compassionnelle d’êtres âgés ou malades pour d’excellentes raisons. Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître. Les différents pétitionnaires du « progrès » euthanasique ne font d’ailleurs pas mystère du recours à cet argument phare.
Contrairement à ce qu’on lit parfois, les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité ne sont pas bafouées, elles sont sublimées. Un quotidien chrétien n’a-t-il pas rappelé qu’aux termes d’un sondage qu’il venait de réaliser, une majorité de Français étaient favorables à cette ultime liberté que représente l’euthanasie ? Quarante-quatre ans plus tôt, le même journal n’avait-il pas déjà considéré qu’une majorité de Français étaient favorables à cette première liberté qui est celle de disposer de son corps ? Tout obstacle moral a été levé au nom de la liberté. Le Conseil constitutionnel a validé la légalisation de l’avortement que plus personne ne songe à remettre en cause aujourd’hui d’autant que sa contestation est passible de prison. Dès lors, on voit mal pourquoi la mort donnée sans contrainte à la fin de la vie serait plus liberticide que celle donnée sans contrainte au début de la vie. Et surtout on peut se demander sur quels critères certains s’autorisent le tri des libertés à soutenir ou à condamner.
L’euthanasie n’est pas qu’une étape de plus sur le toboggan des transgressions
Les partisans de l’euthanasie invoquent l’inégalité entre les riches qui ont les moyens d’aller se faire euthanasier à l’étranger et les pauvres qui ne le peuvent pas. Ils relèvent aussi que des euthanasies illégales sont pratiquées malgré tout dans les hôpitaux français à hauteur de 2000 à 4000 personnes par an. Ces arguments, à la virgule près, ont été ceux utilisés par les partisans historiques de l’avortement. Qui aujourd’hui oserait reprocher à l’Etat de les reprendre alors qu’ils fonctionnent toujours ? Ce duel « à morts » est le remake d’un vieux film. Les opposants à l’euthanasie qui contestent ce qu’au fond d’eux-mêmes ils ont accepté – par fraternité avec l’adversaire – ne sont pas très crédibles. Le comble de la naïveté est atteint quand ils s’appuient sur les soins palliatifs pour faire échec à l’euthanasie en faisant semblant d’ignorer qu’il s’agit aussi d’une revendication du parti euthanasique, comme l’accouchement sans douleur a été soutenu par le parti de l’avortement.
L’euthanasie n’est pas qu’une étape de plus sur le toboggan des transgressions. On ne peut pas en comprendre le véritable fondement si on fait l’impasse sur le transhumanisme et sa volonté de créer Homo-Deus. Le but n’est plus de déconstruire l’humain (c’est fait) mais de le reconstruire autrement, sur d’autres bases, dans un changement de paradigme. La vie est devenue un matériau à gérer. L’existence ne doit plus être subie mais choisie. Dans une paraphrase malhabile de la Bible qui compare Dieu à un potier, les transhumanistes tiennent la matière humaine pour une argile à façonner. Si le potier rate son vase ou si le vase est ébréché à force de servir, il le jette et en refait un autre. « Est-ce que l’argile demande à son potier : que fais-tu ? » dit le prophète Isaïe. L’euthanasie est ainsi le pendant nécessaire de l’avortement dont il précise et complète la signification symbolique. Le moment vient où l’on entendra que renoncer à l’euthanasie, par sacralisation du respect de la vie, ferait courir le risque d’une remise en cause de l’avortement, ce qui ne serait pas entièrement faux.
L’archaïsme au secours du progrès
Mais le projet de créer Homo-Deus va plus loin puisqu’il prédit l’immortalité prochaine des hommes augmentés grâce à la convergence des NBIC. A l’heure de « la mort de la mort », le paradoxe de légiférer sur l’euthanasie n’est qu’apparent. Si l’on ne meurt plus que par inadvertance, l’allongement de la durée de la vie jusqu’à l’immortalité va poser des difficultés sans nombre. La régulation officielle sera donc l’euthanasie. L’autre sera le suicide qui devrait connaître un succès mérité. En effet, si l’on nous prédit l’immortalité (impossible à vérifier par hypothèse), mourir deviendra une peur bien plus insupportable que si l’on se sait mortel. D’où le regain du suicide, l’archaïsme venant paradoxalement au secours du progrès.
Et c’est ainsi que le transhumanisme est grand.