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Entretien avec Anne-Dauphine Julliand

Témoignage
07 Mai 2011 Entretien avec Anne-Dauphine Julliand

Anne-Dauphine Julliand, maman de Gaspard, Thaïs, Azylis et Arthur, et auteur de Deux petits pas sur le sable mouillé. Un témoignage bouleversant sur une maman sa fille atteint d’une maladie génétique.

Deux petits pasDans un magnifique livre paru au mois de mars, Deux petits pas sur le sable mouillé, Anne-Dauphine Julliand raconte l’histoire, à première vue désespérante, de ses deux petites filles malades.

Thaïs, âgée de deux ans, est atteinte d’une maladie génétique orpheline au nom barbare, la leucodystrophie métachromatique. La seconde, Azylis, qui naît quelques petits mois après l’annonce de ce terrible diagnostic, se révèle également atteinte. Alors que l’état de Thaïs se dégrade jour après jour, une greffe de mœlle osseuse est tentée pour Azylis. 

Or, contre toute attente, ce récit d’une mère de famille éprouvée est portée par l’espérance, l’amour, la tendresse. Chaque jour, il faut gravir des montagnes. Mais Thaïs, la petite malade, et Gaspard, son grand frère de 4 ans, aident leurs parents à y parvenir en leur apprenant à ne pas s’interroger inutilement sur le lendemain et à vivre pleinement chaque instant vécu ensemble.

Anne-Dauphine, qu’est-ce qui vous a conduit à publier votre histoire ?
A.-D. J. : J’avais écrit quelques pages, pour moi-même, pendant la maladie de Thaïs. C’est en fait la naissance d’Arthur, un an après la mort de sa grande sœur, qui m’a conduit à écrire ce récit. Je voulais, tout simplement, qu’Arthur connaisse Thaïs, qu’il sache ce qu’avait vécu sa famille. Je l’ai écrit aussi pour mon entourage, pour ceux qui nous ont soutenus. Je l’ai donc fait lire à certains, et puis mon manuscrit a circulé et, manifestement, a touché les lecteurs. Ce sont eux qui m’ont incité à le faire éditer. J’ai fini par l’envoyer à deux éditeurs… A ma grande surprise, les deux m’ont donné une réponse favorable dans la semaine ! Aujourd’hui, je découvre qu’il se passe vraiment quelque chose autour de ce récit, comme il se passait vraiment quelque chose autour de Thaïs. 

Vous racontez, dans votre livre, qu’un grand nombre de personnes, à la maison comme à l’hôpital, se sentaient bien auprès de Thaïs et ressentaient le besoin de venir auprès d’elle. Comment l’expliquez-vous ?

A.-D. J. : Dès le début, Thaïs avait accepté sa maladie. Elle avait compris ce qui l’attendait, mais elle ne s’est jamais révoltée. Elle vivait pleinement sa vie. Elle était, surtout, complètement habitée par l’amour. Ainsi, quand on rentrait dans sa chambre, on sentait autre chose et on ne voyait pas une petite fille malade, mais une petite fille. Comme les autres, elle pouvait être gaie, espiègle. Elle était aussi attentive, à l’écoute. D’ailleurs, parmi ceux qui sont venus la voir, plusieurs m’ont dit, après avoir lu mon livre, qu’ils n’avaient pas réalisé qu’elle ne parlait plus ! Après avoir perdu l’usage de ses membres, Thaïs avait en effet perdu la parole, puis la vue et, enfin, l’ouïe.

Dans ces conditions, comment pouviez-vous communiquer avec elle ?
A.-D. J. : Les uns et les autres, nous avons découvert bien d’autres manières de communiquer avec elle. Au fur et à mesure de l’évolution de sa maladie, toute une palette de moyens d’échanger avec Thaïs s’est mise en place : une pression plus ou moins accentuée de sa main, un mouvement de sa tête, une respiration différente… mille petits signes nous permettaient de la comprendre et d’avoir une réponse à nos questions. Je n’ai jamais eu le sentiment de ne pas comprendre ce qu’elle voulait me dire. Et je ne crois pas qu’elle se soit jamais sentie isolée, inquiète, angoissée, même lorsqu’elle a perdu la vue, puis l’audition. Sa manière d’être n’a changé en rien dans ces moments. C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai pu accepter ces évolutions si douloureuses pour une maman. 

Justement, comme mère, vous devez avoir une force extraordinaire pour avoir supporté tout cela ?

A.-D. J. : Non, pas du tout, je suis une femme tout à fait normale. J’ai simplement fait ce que j’avais à faire comme maman. Avec Gaspard et avec Thaïs, puis avec Azylis, mon mari et moi avons appris qu’il fallait vivre intensément, complètement, chaque instant de la vie. On devrait tous élever nos enfants comme ça ! D’ailleurs, quand les médecins nous ont annoncé la maladie de Thaïs, ils nous ont prévenus des étapes douloureuses qui nous attendaient. Mais ils ont oublié de nous parler de l’essentiel : la vie, l’amour, la relation… Nous avons en fait une idée complètement réductrice de la vie. Il faut revoir notre conception du bonheur ! 

Finalement, à propos de la maladie, votre livre parle de la vie, du bonheur, de l’amour… mais il parle aussi de la mort. Le sujet n’est pourtant pas facile !

A.-D. J. : Oui, bien-sûr, il parle de la mort, alors qu’elle est complètement occultée aujourd’hui. Elle est devenue un véritable tabou. Nous sommes tous, pourtant, appelée à mourir un jour. Autrement dit, la mort fait partie de la vie. En ce qui nous concerne, confrontés à la mort imminente de Thaïs, il nous a bien fallu, mon mari et moi, y penser… et nous y avons pensé sans cesse car nous n’avons pas acceptée d’emblée, loin de là, l’idée de nous séparer un jour de Thaïs. Ce sont nos enfants qui nous ont aidés à cheminer tout doucement. Comme nous l’a dit Gaspard un jour, “c’est pas grave la mort. C’est triste, mais c’est pas grave”. Et aujourd’hui, je ne me dis jamais que ma fille aînée devrait avoir 6, 7 ou 8 ans… parce qu’elle a pleinement eu la vie qu’elle devait avoir. Thaïs, qui n’a pourtant vécu que 3 ans ¾, a eu une vie comblée et sans doute bien plus intense que d’autres qui vivent des dizaines d’années, mais qui manquent d’amour.

Quant à Azylis, qui a subi une greff e de mœlle osseuse à quelques semaines de vie, comment va-t-elle maintenant ?
A.-D. J. : Azylis va bien, c’est une petite fille heureuse, bien dans sa peau, même si la maladie n’a pas pu être complètement jugulée. Quant elle est née, le Pr Patrick Aubourg,  et son assistante, Caroline Sevin, nous ont tout de suite proposé pour elle une greffe de mœlle osseuse. C’est un traitement auquel ils pensaient depuis très longtemps, mais ils n’avaient pas pu le tenter. La greffe mettant environ 18 mois à faire son plein effet, il faut la faire dès la naissance puisque les symptômes de la leucodystrophie métachromatique apparaissent vers 1 an et demi-2 ans. Azylis a donc été mise, à 5 semaines, dans une bulle stérile pour subir une chimiothérapie destinée à détruire toute sa mœlle osseuse.

Elle a ensuite été greffée. Après des semaines d’attente, nous avons su que le greffon avait bien pris… cependant, celui-ci n’a pas eu tout l’effet escompté puisqu’Azylis, qui était sur le point de marcher à 18 mois, a finalement régressé. Les médecins se sont en fait rendus compte, avec elle, que cette maladie est plus complexe qu’ils ne le pensaient. Outre la démyélinisation, qui atteint tout le système nerveux, elle génère également une défaillance au niveau neuronal.  

Notre fille est aujourd’hui atteinte d’un handicap moteur. Mais ses jours ne sont pas en danger et il est probable qu’elle vivra de longues et
belles années. 

 


 

ANNE-DAUPHINE JULLIAND Deux petits pas sur le sable mouillé Editions les Arènes 225 pages, 17 €

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