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Interview avec Laurent Boileau, le réalisateur de J’irai Décrocher la Lune, un documentaire sur la trisomie 21

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05 Nov 2020 Interview avec Laurent Boileau, le réalisateur de J’irai Décrocher la Lune, un documentaire sur la trisomie 21
  • Fondation Jérôme Lejeune : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la trisomie 21 ?

Laurent Boileau : Je n’ai pas de lien particulier avec la trisomie 21, il n’y a pas de personne porteuse de trisomie 21 dans mon entourage. J’en avais une connaissance éloignée, avec un certain nombre d’idées préconçues, que la société véhicule, au fond, je ne me sentais pas concerné. Et puis en 2010, j’ai rendu service comme bénévole à l’association Trisomie 21 Marne. J’ai rencontré à cette occasion des adultes porteurs de Trisomie 21 et le contact est tout de suite bien passé. 

Et puis , j’ai voulu faire un film sur la différence, et j’ai pensé à la trisomie 21, car on ne peut pas la masquer, elle se voit. C’est la thématique de la différence qui m’a amené à la Trisomie 21 finalement. Cette thématique traverse ma filmographie, on peut l’exprimer de plein de manières différentes. Je trouvais que la déficience intellectuelle avait un vrai intérêt, et je l’ai abordé non pas par militantisme mais pas curiosité.  Ce n’est pas le militantisme qui conduit ma vie de réalisateur, je suis curieux du monde, j’aime aller dans les domaines que je ne connais pas, j’ai envie de mieux les connaitre et les approfondir, en dépassant les idées préconçues.

 

  • FJL : Est-ce un choix de votre part de montrer des adultes en marche vers l’autonomie plutôt que des enfants ? 

Laurent Boileau Quand on travaille avec des enfants, on travaille avec la famille, les parents et les enfants. Or là, je voulais interroger directement les adultes, travailler directement avec eux.

Pour rencontrer mes protagonistes, j’i fait des recherches auprès de plusieurs associations. Puis je suis tombé sur l’Ile Bon Secours, la résidence intergénérationnelle dans laquelle vivent ces jeunes adultes porteurs de trisomie 21 à Arras. Avec les idées préconçues que j’avais, tout cela m’apparaissait presque comme de la science-fiction jusqu’à ce que je les rencontre.

 

  • FJL : Qu’est-ce qui vous a le plus touché chez eux ?

Laurent Boileau Je crois d’abord que c’est la diversité des personnes. J’ai découvert des choses que je ne soupçonnais pas. Je pensais qu’ils étaient tous pareils, que c’était les mêmes. Ce n’est pas la même chose d’en rencontrer une ou d’en rencontrer une dizaine. Dans mon approche, j’ai voulu retrouver cette diversité. J’aurai pu ne m’arrêter que sur Robin et Éléonore, avec qui la discussion et l’échange sont plus faciles. Pendant mon repérage, je me suis rendu compte qu’il y a ceux pour qui la parole est plus compliquée mais qui ont quand même des choses à dire. Si je ne les montrais pas, j’avais l’impression de passer à côté de la différence. L’enjeux était de les faire s’exprimer. J’ai cherché avec chacune d’entre elle un moyen d’expression, soit en mot, soit en dessin, en chant. Il n’y avait pas de limite, chacun avait son mode d’expression. Par exemple, quand Gilles-Emmanuel m’a proposé de chanter, au départ, je n’étais pas très convaincu. Mais ma première réaction a été de dire « OK ». En fait il s’est mis à chanter avec beaucoup d’émotion, et il utilise les mots des chansons pour exprimer ce qu’il ressent profondément. D’ailleurs on en a reparlé avec Martin Cahuète, le chercheur Québécois qui intervient un peu plus loin dans le film. Comme moyen d’expression il y avait aussi pour Stéphanie l’écrit, le piano avec Mario pour exprimer des ressentis et des sentiments.

Il y a aussi la confiance qu’ils m’ont donné, quand j’ai su les mettre en confiance. Ils se sont sentis en confiance et ils m’ont beaucoup donné. C’est un très beau cadeau pour un réalisateur quand ceux qu’il filme se livrent au plus profond de leur intimité. Bien sûr j’ai fait des choix au montage. Il y a aussi dans la même veine la fierté qu’ils éprouvent. Non pas une fierté de star mais ce film leur a donné l’occasion d’avoir un regard positif sur eux. Même si mes protagonistes sont quand même en avance sur les autres dans leur autonomie. Par exemple un moment très parlant c’est quand ils se regardent dans la glace, c’est une mise en abîme, ils se voient tels qu’ils sont, tels que la société les voit, ce qu’ils m’ont offert, et ce que le film leur a permis.

Ce n’est pas un film militant. Je n’ai pas cette conception dans mes films. Ce n’est pas une démarche qui m’animait en fait. S’il y a un message, c’est dans la diversité des personnes, de ce que j’ai vu, vécu. Ils doivent avoir le choix de leur habitat, de leur manière de vivre. Pourquoi n’auraient-ils pas ce choix comme chacun peut l’avoir ? Certains travaillent dans un milieu bienveillant, d’autre dans un monde du travail plus « brut ». Véritablement, c’est la question de l’autodétermination qui m’a le plus interpellé. 

Pour moi finalement, ce film parle aussi de l’autodétermination des personnes vieillissantes, dans la mesure où on décide à leur place. C’est une situation commune pour les personnes fragiles. Finalement c’est un thème que j’aurai pu aborder avec d’autres personnes, car c’est une question qui se pose autant chez les personnes vieillissantes qu’avec les personnes porteuses de trisomie 21.

 

  • FJL : On vous voit intervenir dans le film, est-ce un choix de votre part, vos interventions étaient-elles prévues ?

Laurent Boileau En effet je suis intervenu à un moment dans le film, quand Gilles-Emmanuel sort de son rendez-vous professionnel. Il s’est affirmé du haut de ses 36 ans et en sortant dans le couloir, il revient à ses peurs, la peur de ses parents en particulier. 

A partir du moment où je suis devenu un élément médiateur dans le quotidien de ses gens, je ne voulais pas en faire des super héros, je voulais montrer leurs difficultés réelles, l’influence du monde.

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