Yann Herault est lauréat du Prix International Sisley – Jérôme Lejeune 2013. Dans une interview il nous explique ses travaux sur la trisomie.
Fondation Jérôme Lejeune : Bonjour Professeur, pouvez-vous vous présenter ?
Yann Hérault : Bonjour, Je m’appelle Yann Hérault. Je suis directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Je suis ancien élève de l’Ecole Normale de Lyon et Docteur es Sciences de l’université de Lyon. Je suis biologiste de formation, spécialisé en embryologie et en génétique chez la souris.
FJL Vous avez longtemps travaillé sur les modèles de murins, pouvez vous nous expliquer en quoi à consister vos travaux à l’origine ? Quel était l’objectif de vos travaux et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Yann Hérault: Les travaux que nous avons engagés dans mon équipe depuis plus de 12 ans visent à mieux comprendre les mécanismes qui sont perturbés dans la trisomie 21.
Comme vous le savez la trisomie 21 résulte de la présence d’une troisième copie du chromosome 21 qui conduit à l’apparition d’un ensemble d’altérations. Les plus connues sont celles qui affectent les performances intellectuelles et la morphologie. L’origine de ces altérations et l’identification des gènes du chromosome 21 contribuant à ces altérations restent encore un défi. Des études chez l’homme d’un petit nombre de patients portants des duplications partielles du chromosome 21 a permis d’avancer dans la compréhension de l’importance de certaines régions du 21 dans quelques altérations.
Pour continuer ces études nous avons développé des approches génétiques chez un organisme modèle, la souris, pour discerner les changements au niveau des cellules, de l’expression des gènes et des molécules qui sont induits par la présence d’une troisième copie des gènes du chromosome 21. En effet on sait depuis fort longtemps que la souris et l’homme présente un grand nombre de gènes, qui sont similaires, on parle de gènes homologues.
Lorsque nous avons commencé ces travaux dans les années 2000, la séquence des génomes chez l’homme et la souris n’était pas encore terminée. L’ordre des gènes sur les chromosomes 21 et les régions similaires dans le génome de la souris étaient à peine identifier. Il nous a fallu vérifier et valider un certain nombre de données avant de pouvoir nous engager dans des travaux qui allait prendre plusieurs années. Nous avions l’ambition d’appliquer des approches d’ingénierie des chromosomes qui permettent de bricoler les chromosomes dans le génome de la souris. Nous voulions rendre les souris trisomiques en induisant des copies en tandem de région homologue au chromosome 21. Ce fut un long travail de plusieurs années avec la contribution de plusieurs étudiants en thèse et de nombreux membres de mon équipe.
Tous ensembles nous travaillions pour créer ces modèles tout d’abord dans des cellules embryonnaires souches puis ensuite pour obtenir des souris avec ces modifications. Nous devions générer au moins trois modèles pour couvrir l’ensemble des régions homologues au chromosome 21 chez la souris et compléter les modèles existants. Certains modèles sont arrivés plus rapidement que d’autres commencés plus tôt. Chaque région avait ces particularités, était plus ou moins facile à cibler, se prêtait plus au moins facilement à ces remaniements chromosomiques.
Pour obtenir notre premier modèle et commencer à l’étudier il nous a fallu plus de cinq années et pourtant nous n’avons pas perdu de temps. Les autres sont arrivés ensuite plus facilement. Maintenant nous avons six modèles différents et fort de nos connaissances nous avons levé un certain nombre de difficultés, nous permettant de réduire ce temps de création à deux années. Mais la difficulté majeure était devant nous, réaliser des études fonctionnelles pour rechercher les similitudes entre nos modèles et la trisomie 21… très rapidement nous avons compris qu’il nous faudrait prendre encore plus de temps pour étudier ces modèles mais heureusement nous avons trouvé de merveilleux collaborateurs qui nous ont aidés dans cette aventure.
FJL : Vous continuez à compléter la carte génotype-phénotype en corrélation avec les données tirées des patients atteints de trisomie 21 : pouvez vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Yann Hérault : Le chromosome 21 (HSA21) comporte plus de 350 gènes dont nous ne connaissons pas encore toutes les fonctions. Nous voulons comprendre quel est l’impact de certains gènes dans la trisomie 21 ? C’est-à-dire déterminer les conséquences du changement de génotype sur les phénotypes, sur l’expression des altérations caractéristiques de la trisomie 21.
Nous avons constitué un ensemble de modèles souris trisomiques pour différentes régions du chromosome 21 afin de voir quels sont les traits qui sont affectés par chacune des régions. En effet une grande région d’homologie avec le chromosome 21 (HSA21) se trouve sur le chromosome 16 de la souris (MMU16). D’autres régions homologues au HSA21 sont situés sur les chromosomes souris MMU17 et MMU10. Historiquement deux trisomies partielles de MMU16 portant une région dite critique ont été étudiées en détail. Ces trisomies conduisent à des modifications moins sévères que ceux observés chez l’homme. Ces résultats soutiennent l’hypothèse que plusieurs gènes du HSA21 situés dans d’autres régions homologues au HSA21 chez la souris interviennent et probablement interagissent pour induire les altérations observées chez les personnes trisomiques. Nous avons donc étudié les phénotypes de nos différents modèles souris correspondant à des ensembles de gènes du Hsa21 en développant des analyses standardisées pour évaluer les performances cognitives des animaux. Nous avons ainsi pu mettre en évidence que certaines régions seulement du chromosome 21 étaient impliquées dans les déficiences intellectuelles, et que les gènes de ces régions interagissaient entre eux. Ils étaient capables de modifier les phénotypes, les altérations induites par d’autres gènes du Hsa21. Cette hypothèse est étayée par plusieurs modèles souris que d’autres collaborateurs ou que mon équipe avons créés. Les interactions entre gènes sont certainement responsables des phénotypes très variables observées chez les personnes trisomiques mais aussi contribuent à la variabilité de la déficience intellectuelle.
FJL : Vous cherchez à analyser des gènes responsables des phénotypes observés sur les modèles murins : pourquoi travailler sur des modèles murins, et en quoi consistent les travaux ?
Yann Hérault : Nous continuons à travailler sur des organismes modèles comme la souris pour mieux comprendre les mécanismes de la mémoire ou de la cognition qui sont perturbées dans la trisomie 21. Nous avons accès grâce aux modèles souris à des tissus et à des structures du cerveau très difficile à étudier chez l’homme. Nous pouvons tout en respectant la réglementation, l’éthique et le bien-être animal, prélever des échantillons de tissus qui nous permettent d’étudier les mécanismes cellulaires et moléculaires. De plus nous contrôlons avec beaucoup de soin l’environnement de nos souris pour pouvoir comparer les animaux « normaux » avec les animaux trisomiques. Enfin les lignées de souris de laboratoire sont généralement consanguines. Cet avantage est très particulier mais il permet de comparer des individus dont le patrimoine génétique est identique à 99%.
FJL : Vous vous êtes penché sur le gène de la cystathionine bêta synthase (Cbs) : pouvez-vous nous expliquer le rôle de ce gène : quelles sont les perspectives pour la recherche ?
Yann Hérault : Le gène de la CBS est connu pour être impliqué dans le métabolisme de la méthionine et dans une autre maladie chez l’homme, aussi associée à une déficience intellectuelle. Nous avons analysé une souris trisomique pour une région du chromosome 21 qui comprend le gène de la CBS et nous avons pu observer une baisse des performances de reconnaissance et de mémoire dans ce modèle. Par des études complémentaires basées principalement sur des expériences de génétiques nous avons accumulé de nombreux éléments démontrant l’implication de ce gène dans la trisomie 21. Nous sommes convaincus maintenant que ce gène de la CBS joue un rôle primordial dans la trisomie 21 même si nous ne connaissons pas encore tous les mécanismes sous-jacents. Nous sommes en train de les déchiffrer pour essayer de déterminer les meilleurs moyens d’actions pour contrecarrer la présence de ces 3 copies de la CBS chez les patients trisomiques. Nous avons déjà contribué à deux études de candidats médicaments, ciblant une autre voie perturbée dans nos modèles et pour la deuxième un autre gène candidat. Ces pistes sont prometteuses et avec cette nouvelle piste sur la CBS nous avons plusieurs moyens d’actions pour contrecarrer les effets de la trisomie sur les performances cognitives.
FJL : La recherche thérapeutique et donc au cœur de vos recherches mais quels sont les prochaines étapes ?
Yann Hérault : Les prochaines étapes sont de trouver des molécules actives qui permettront de compenser ou de rétablir des performances intellectuelles tout d’abord chez nos souris modèles. Par exemple avec des molécules qui diminuerait l’activité de la CBS à un niveau normal nous pourrions rétablir les performances de nos modèles dans des tests de reconnaissance ou de mémoire. Nous pourrions aussi déterminer si ces molécules n’ont pas d’effets secondaires plus importants que le bénéfice qu’elles apportent. C’est une étape cruciale qui malheureusement conduit à l’arrêt de plus de la moitié des molécules en développement. Ensuite après ces études précliniques, il faudrait pouvoir commencer les études sur des patients humains pour voir enfin si des améliorations apparaissent.
FJL : A quoi destinez-vous les prochains modèles de murins : les autres maladies rares peuvent aussi servir de bases de recherche ?
Yann Hérault : Nous travaillons dans deux grandes directions : la première pour étudier et comprendre d’autres maladies rares qui induisent des déficiences intellectuelles, afin de pouvoir comprendre les mécanismes en jeu et proposer des voies d’actions ; la deuxième encore plus ambitieuse pour décrypter la fonction des gènes chez les mammifères au travers de l’initiative international de phénotypage de la souris afin de donner à la recherche de nouvelles pistes de découvertes. Dans cet effort international nous espérons délivrer des informations sur les gènes qui ont été identifiés mais qui n’ont pour le moment aucune fonction connue, et ils représentent encore 2/3 de notre génome.
FJL : Votre ambition de votre recherche ?
Yann Hérault : Faire que nos recherches servent la connaissance, les autres chercheurs et la société.
Les Prix : Prix International Sisley-Jérôme Lejeune, Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune
Les Lauréat du Prix International Sisley – Jérôme Lejeune 2013 : Lynn Nadel – Université d’Arizona – Yann Hérault – Illkirch
Membres du Jury International Sisley-Jérôme Lejeune 2013
Lauréats du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013 : Alexandra Trotier-Faurion, Elisabetta Aloisi, Aurore Thomazeau
Membres du jury du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013.
Dossier de Presse 2013