Le nouveau dépistage prénatal non invasif (DPNI) incluant la trisomie 21 est désormais remboursé par la Sécurité Sociale. Dans L’Incorrect, Jean-Marie Le Méné, président de la fondation Jérôme Lejeune, explique que la politique eugéniste poursuit son chemin en France, pour laisser la voie libre à l’essor du marché du transhumanisme.
Pourriez-vous revenir sur les récentes évolutions législatives liées à l’introduction du diagnostic prénatal non invasif en France ? En quels termes précisément ces dispositions sont-elles entrées en vigueur ?
Il est vrai que 96 % des enfants diagnostiqués trisomiques avant la naissance sont aujourd’hui éliminés, ceci étant possible jusqu’au terme de la grossesse en application de la loi Veil. Sauf indication contraire des parents ou défaillance de la machine à trier, tous les fœtus diagnostiqués trisomiques sont avortés. Le dépistage prénatal non invasif (DPNI) porte à sa perfection la politique eugéniste déjà mise en place en visant à l’éradication complète des enfants porteurs de trisomie. Il est présenté comme plus fiable, plus précoce, plus confortable, plus économique. Une usine à gaz a été construite pour renforcer une politique qui n’est ni médicale, ni scientifique et encore moins philanthropique mais surtout lucrative pour les fabricants de tests.
Ce nouveau dépistage, capable de rechercher le chromosome 21 surnuméraire dans l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel, est dorénavant proposé à toutes les femmes enceintes dont le niveau de risque a préalablement été évalué entre 1/50 et 1/1000 (et non plus 1/250) à l’issue du dépistage actuel par dosage des marqueurs sériques. Au système actuel qui prévoit un dépistage à 14 semaines et fiable dans 85 % des cas se rajoute donc une technique utilisable dès 10 semaines et fiable à 99 %. Il y aura même des femmes qui cumuleront trois tests : les marqueurs sériques, le DPNI si elles sont classées à risque entre 1/1000 et 1/50 et un second DPNI si le premier prélèvement est « ininterprétable ». Le DPNI devrait limiter le recours à l’amniocentèse qui restera toutefois nécessaire pour établir le diagnostic si le résultat du nouveau test est positif. L’avortement qui pourra être plus précoce est bien sûr présenté comme un progrès. Tout cela est remboursé par l’assurance maladie.
Le principal argument avancé par les défenseurs du DPNI est notamment la réduction des risques de fausse couche de la femme (risque présent lors des amniocentèses). Pourquoi pensez-vous au contraire qu’il s’agit là d’une aggravation de la politique de dépistage massif mené par le gouvernement ?
L’actuelle politique de dépistage présente deux caractéristiques : elle est à la fois massive et imprécise. Massive dans la mesure où 96 % des enfants diagnostiqués sont avortés (bien que certains se posent la question de savoir pourquoi il en reste encore 4 %). Imprécise parce que le système conduit à des erreurs responsables de fausses couches d’enfants sains causées par le recours excessif à l’amniocentèse (celle-ci est critiquée non pas en raison des fausses couches d’enfants trisomiques puisque ce risque est sciemment couru par les parents mais à cause des fausses couches d’enfants sains). Le nouveau système mis en place cherche donc à être à la fois exhaustif (avec un seuil de risque plus exigeant 1/1000) et dans la cible (avec un taux de fiabilité de 99 %).
Autrement dit, cette nouvelle politique de dépistage doit être vue comme une superposition de filtres. D’une part le système actuel des marqueurs sériques resserre les mailles du filet dans un rapport de 1 à 4. D’autre part, on rajoute un second filtre, le DPNI, dont la fiabilité est quasi parfaite. Malgré cela, le diagnostic reste nécessairement établi à la suite de l’amniocentèse mais les cibles seront mieux identifiées et les fausses couches ne concerneront que des enfants trisomiques. Le nouveau système remboursé par l’assurance maladie permet donc de ne plus éliminer d’enfants sains, il n’éliminera que les trisomiques mais il les éliminera tous. En somme, c’est une meilleure utilisation de l’argent public. La hiérarchie est clairement établie : la vie d’un enfant sain est protégée avant la naissance, celle d’un enfant trisomique est condamnée.
Pourquoi cette politique de dépistage massif semble-t-elle irrémédiablement mener à plus d’eugénisme dans la société ? Ne pourrait-on pas envisager un droit à l’information qui serait décorellé d’une augmentation des statistiques de suppression des enfants atteints de maladies graves ?
Cette massification du dépistage de la trisomie 21 est contraire aux critères définis par l’Organisation Mondiale de la Santé. En effet, ceux-ci exigent notamment l’existence « d’un traitement d’efficacité démontrée » de la pathologie pour justifier la mise en place d’un dépistage en population générale. Or, force est de constater qu’il n’existe pas de traitement de la trisomie 21, alors même que le dépistage de cette pathologie est devenu systématique, généralisé et remboursé.
La seule issue du dépistage de la trisomie, c’est l’avortement, dès lors qu’on place à égalité le choix de garder ou pas son enfant ou même que le choix de ne pas le garder est présenté comme une évidence. Le libéralisme et le libertarisme font la politique d’aujourd’hui. La morale est soumise au droit, le droit au progrès et le progrès au marché. Ainsi des familles, qui n’y auraient jamais songé d’elles-mêmes, se retrouvent acculées à des choix inhumains du fait de nouveaux droits ouverts permettant un égal accès à tous les progrès techniques générés par le marché. La politique de dépistage retrouvera une dignité quand la trisomie 21 pourra être traitée mais, pour cela, il faut des moyens.
Quels moyens sont aujourd’hui alloués à la recherche sur les perspectives thérapeutiques liées aux maladies génétiques rares ? Par comparaison, quels sont les moyens mis en œuvre pour rembourser ces tests de DPNI ?
Depuis longtemps, j’ai montré que le dépistage de la trisomie était fondé sur des raisons économiques. En France, des scientifiques ont publié des articles suggérant qu’il était moins cher de financer le dépistage que la prise en charge des personnes handicapées. Plus récemment, dans mon dernier livre, j’ai rapporté que le dépistage de cette anomalie chromosomique par le DPNI représentait pour le fabriquant de test, « un mal nécessaire et une formidable opportunité de marché».
Non seulement, le dépistage est une économie mais il devient un fonds de commerce. On retrouve les racines du transhumanisme que sont le scientisme et le marché. Présenter comme scientifiques ou médicales des applications douteuses, dérivées de découvertes honorables, dans le seul but de réaliser du profit. La moitié de l’humanité devient une clientèle captive systématiquement soumise à l’angoisse de donner naissance à un enfant handicapé puis à la tentation de recourir au moyen le plus expéditif d’échapper au destin. L’enjeu financier est énorme, avec un chiffre d’affaires évalué à 10 milliards de dollars au niveau mondial.
En France, la recherche scientifique sur la trisomie 21 dans une perspective thérapeutique est financée par les ressources privées de la fondation Jérôme Lejeune. Il y a 25 ans, au moment de créer la fondation, le ministère de la recherche m’avait confié qu’il ne voyait pas d’intérêt à doter cette recherche de crédits budgétaires puisqu’on finançait déjà le dépistage anténatal et qu’il n’y aurait plus de naissances d’enfants trisomiques. En 1999, les coûts annuels du dépistage anténatal de la seule trisomie 21, financés par l’assurance maladie, étaient déjà évalués à 100 millions d’euros (Cour des comptes, La vie avec un handicap, rapport public particulier, 2003). Il n’y a donc pas de recherche publique puisque la population concernée est vouée à disparaître.
Il faut ajouter que la prise en charge du handicap mental d’origine génétique est, elle aussi, déjà largement privatisée. La crainte se concrétise de voir les parents d’enfants handicapés mis en demeure d’assumer les conséquences financières de leurs choix « égoïstes » et de ne pas les imposer à la société. La consultation médicale spécialisée de la fondation Jérôme Lejeune, la plus importante d’Europe, qui n’accueille pas moins de dix mille patients, à raison d’environ cinq cents nouveaux patients par an envoyés par l’hôpital public, est financée aux deux-tiers par des dons privés, recueillis par la fondation, pour que les familles concernées ne payent rien. Il est clair que si la trisomie est une raison de s’abstenir de prodiguer des soins à une personne qui n’aurait pas dû naître, notre système de santé a au moins le mérite de la cohérence.
L’introduction de ce DPNI semble tout de même être passée quasi inaperçue, pourquoi peut-on penser qu’il s’agit là d’une véritable boîte de Pandore ? Quelles dérives craignez-vous dans les années à venir ?
L’introduction du DPNI n’est pas passée inaperçue. Cela fait dix ans que tous les journaux en parlent régulièrement en l’appelant de leurs vœux. A chaque étape, il y a eu des dépêches de l’AFP reprises dans toute la presse. Sans soulever la moindre objection de la part des bien-pensants. La lâcheté est de traiter le sujet dans une rubrique scientifique et médicale, pour ne pas avoir à se prononcer sur le fond, alors qu’il s’agit d’une question de principe : est-il moral, au nom de la médecine, de tuer la quasi-totalité des handicapés dépistés jusqu’à la veille de la naissance ?
Je ne crains aucune dérive. La dérive c’est le droit de tuer, légalisé depuis 45 ans. Aucune des « grandeurs d’établissement » n’a eu le courage de s’y opposer à l’époque. Excepté le Pr Jérôme Lejeune. Nous sommes à l’ère des conséquences et de l’inéluctable.
Pour en savoir plus sur le test de dépistage de la trisomie 21