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L’inventeur des cellules iPS récompensé par le Prix Nobel de médecine

Recherche scientifique
20 Nov 2012 L’inventeur des cellules iPS récompensé par le Prix Nobel de médecine

La Fondation Jérôme Lejeune, qui a contribué dès 2006 à faire connaître la découverte du Pr Yamanaka et à promouvoir les cellules iPS, se réjouit que le Prix Nobel de médecine 2012 lui ait été attribué. Mgr Jacques Suaudeau, docteur en médecine, est directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la Vie. Il nous éclaire sur les enjeux de cette découverte.

YamaLa Fondation Jérôme Lejeune, qui a contribué dès 2006 à faire connaître la découverte du Pr Yamanaka et à promouvoir les cellules iPS, se réjouit que le Prix Nobel de médecine 2012 lui ait été attribué. Mgr Jacques Suaudeau, docteur en médecine, est directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la Vie. Il nous éclaire sur les enjeux de cette découverte.

Le Pr Shinya Yamanaka vient de recevoir le Prix Nobel de médecine. En quoi consiste la découverte ainsi récompensée ?

Elle concerne l’activation de certains gènes dans des cellules ordinaires, différenciées, de l’organisme adulte, processus qui amène la transformation de ces cellules en cellules de type embryonnaire, jeunes, indifférenciées, capables de donner en se multipliant, tous les différents types de tissus présents dans l’organisme, ce que l’on appelle la « pluripotence ». Les gènes sont ces petites portions (séquences) de la longue molécule d’ADN contenue dans le noyau de chacune de nos cellules, et qui contiennent la mémoire biologique de l’individu, comme un ordinateur renferme sur son disque dur le programme qui le fait fonctionner. L’opération d’activation de certains gènes réalisée par le Pr Yamanaka est appelée « reprogrammation », parce que l’information génétique contenue dans la cellule ordinaire, différenciée se voit reprogrammée par l’activation de ces gènes, de la même façon qu’on réinitialise un ordinateur. Cette reprogrammation génétique confère à la cellule adulte, spécialisée, la mémoire génétique d’une cellule toute jeune, non spécialisée, pluripotente, telle qu’on peut la trouver dans l’embryon des premiers jours, avant qu’il ne se soit implanté dans l’utérus maternel.

L’idée de cette reprogrammation est venue des résultats des expériences de clonage qui ont suivi la naissance de la brebis Dolly, en 1997. Jusqu’à cette date, les scientifiques pensaient que la « différenciation cellulaire » était un processus irréversible lié à la perte de certains gènes, aboutissant – dans l’embryon et le fœtus – à la transformation des cellules jeunes et indifférenciées en cellules spécialisées (musculaires, hépatiques, rénales, cardiaques…). La réussite des expériences de clonage a montré qu’il n’en était rien et qu’une cellule adulte, différenciée, comme un fibroblaste de la peau, pouvait, dans certaines conditions, se « dédifférencier » et se transformer en une cellule toute jeune, indifférenciée. On a ainsi compris que les cellules, en se spécialisant pour devenir cellules du cœur ou cellules de l’intestin, ne perdaient pas de gènes, mais que les gènes qui ne servaient plus étaient simplement « réprimés » – on pourrait dire « endormis » – un peu comme, dans un programme d’ordinateur, certains contenus du programme peuvent être rendus inopérants. On a donc compris que ces gènes « endormis » pouvaient être réactivés, comme dans les expériences de clonage.

Le clonage consiste à prélever le noyau d’une cellule normale, différenciée de l’organisme – par exemple une cellule de la peau – et à la transférer à l’intérieur d’un ovocyte (gamète féminin) dont le noyau a été retiré (énucléation). Le noyau de la cellule différenciée ainsi introduit dans l’ovocyte énucléé renferme un programme génétique de type « adulte » dans lequel une partie des gènes – celle correspondant à la mémoire génétique du jeune embryon – est inactive, au silence. La stimulation de cet ovocyte – par décharge électrique ou administration de calcium – lève l’inhibition des gènes du développement embryonnaire. A ce stade, le programme génétique de type « adulte » contenu dans ce noyau devient un programme génétique de type « jeune » induisant l’activation des gènes du développement embryonnaire. Il en résulte la transformation du complexe ovocyte-noyau en un « zygote », c’est-à-dire en embryon primitif. Cette technique du clonage produit donc, à partir d’une cellule adulte spécialisée, un embryon « sans père ni mère », grâce à l’intervention des facteurs de reprogrammation génétique contenus dans l’ovocyte.

Durant la même période où le clonage se développait – de 1997 à 2000 – d’autres scientifiques se lançaient dans une autre voie de recherche, celle sur les cellules souches. Les cellules souches de type « primitif », non différenciées, se trouvent dans les stades précoces du développement embryonnaire ou dans les tissus de l’organisme adulte. Elles ont la capacité de se multiplier très rapidement et de façon abondante. La différenciation des cellules souches permet de générer des cellules spécialisées, spécifiques de chaque organe. En 1998, JA Thomson avait mis au point, à partir de très jeunes embryons humains, une technique d’extraction et de mise en culture des cellules souches à des fins thérapeutiques, ouvrant la voie aux thérapies de réparation tissulaire (en cas de brûlure de la peau, par exemple). Le potentiel technique de ces cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) paraissait très prometteur mais leur utilisation soulève depuis le départ des questions d’ordre éthique. En effet, leur utilisation impose la destruction des embryons dont elles sont issues. Une alternative à l’utilisation des CSEh a vu le jour grâce à la découverte des cellules souches somatiques, provenant des tissus de l’organisme adulte ou du sang du cordon ombilical. Cependant, les capacités de multiplication et de différenciation de ces cellules « adultes » apparaissent comme inférieures à celles des CSEh.

L’objectif du Professeur Yamanaka était d’obtenir des cellules souches de « type embryonnaire », aux qualités de prolifération et de différenciation équivalentes à celles des CSEh, sans avoir recours à l’utilisation – et donc la destruction – d’embryons humains.

Son intuition : rétablir dans des cellules adultes, la « mémoire génétique » propre aux cellules embryonnaires, soit la capacité de se différencier en cellules spécialisées. Son travail a permis d’identifier un groupe de quatre « facteurs de reprogrammation cellulaire ».

Par cette méthodologie, les cellules souches adultes retrouvent, grâce à leur mémoire génétique, la pluripotence des cellules embryonnaires. Les cellules « reprogrammées » sont appelées « iPSC »( induced pluripotent stem cells ). Leurs propriétés sont proches de celles des CSEh en termes de prolifération et de différenciation. Les expériences de l’équipe du Pr Yamanaka ont été menées avec succès en 2006 à partir de fibroblastes (cellules spécialisées de la peau) de souris puis, en 2007, à partir de fibroblastes humains.

Quels sont les enjeux de cette découverte ?

Elle est capitale à divers titres, car les iPSC présentent plusieurs avantages par rapport aux CSEh. Tout d’abord, il est désormais possible d’obtenir des cellules souches pluripotentes sans avoir à utiliser des ovocytes ou des embryons humains. Cela permet de contourner une difficulté éthique majeure et d’apporter une alternative intéressante à l’utilisation des CSEh, notamment en matière de compatibilité avec l’organisme. Par exemple, un patient souffrant d’une plaie profonde pourrait recevoir des cellules de peau issues d’iPSC reprogrammées à partir de ses propres cellules. L’origine des cellules – préparées au laboratoire pour leur multiplication et injectées au receveur-réduirait à néant les risques de complications ou de rejet immunologique. En outre, la production des iPSC en laboratoire n’est pas limitée quantitativement, contrairement à celle des CSEh.

En effet, ces dernières sont obtenues directement à partir d’embryons humains non utilisés, issus de PMA (Procréation médicalement assistée), ce qui pose des problèmes légaux et techniques. De plus, l’accès aux lignées de CSEh disponibles commercialement, est souvent rendu difficile par la législation en vigueur, propre à chaque pays. Ces conditions limitent le nombre de CSEh disponibles, ce qui peut constituer un frein à leur utilisation, notamment en médecine régénérative, qui en nécessite de grandes quantités.

Enfin, cette découverte a des champs d’application très intéressants :

– Elle permet de « modéliser », c’est-à-dire de développer des modèles cellulaires de maladies, ce qui favorise une meilleure connaissance et compréhension des pathologies concernées. Elle permet aussi d’évaluer directement sur ces cellules-modèles de maladies l’effet de nouveaux médicaments en cours d’étude, ce qu’on appelle le « criblage ».

– Elle ouvre la voie à la médecine régénérative de demain : les iPSC se multipliant en abondance et pouvant réparer tous les tissus, devraient permettre de traiter des maladies qui échappent aux thérapies disponibles actuellement, telles que les maladies neuro-dégénératives (Parkinson, Alzheimer, sclérose latérale amyotrophique, sclérose en plaques, infarctus du myocarde) ou certaines affections traumatiques graves (section de moelle épinière, graves pertes musculaires ou cutanées). Préparées à partir des cellules du patient lui-même, les cellules iPS évitent les complications telles que le rejet de greffe. Néanmoins, ces applications ne seront disponibles qu’après maintes vérifications. En effet, les iPSC posent des problèmes spécifiques (risque lié à la manipulation génétique qui permet la reprogrammation), ou identiques à ceux posés par les CSEh (possibilité d’apparition de tumeurs au site d’administration).

Cette découverte ouvre de nombreuses perspectives notamment dans le domaine de la thérapie cellulaire. La connaissance des iPSC pourrait permettre de développer des techniques beaucoup plus complexes permettant d’obtenir, à partir de cellules différenciées dans un type particulier (par exemple cellules de la peau), des cellules différenciées en un autre type particulier (par exemple cellule neuronale). Ce processus de “transdifférenciation” rendrait inutile le passage par l’état d’iPSC et éliminerait en particulier le risque oncologique (leucémies, cancers, tumeurs) lié à l’usage des iPSC chez les patients.

Vous avez contribué, avec la Fondation Jérôme Lejeune, à faire connaître cette découverte à la communauté scientifique internationale ?

Oui, en effet. En 2006, avec la Fondation Jérôme Lejeune et la FIAMC (Fédération des Associations des Médecins Catholiques), nous avons organisé un congrès scientifique sur les cellules souches qui a eu lieu à Rome. Ayant identifié l’intérêt des travaux du Pr Yamanaka, nous l’avions invité à les présenter. Cette intervention était, semble-t-il, la première qu’il faisait, officiellement et devant un large public, en Europe, sur sa découverte. Mais je dois dire que, sur le moment, les scientifiques présents dans la salle étaient quelque peu incrédules. Cette incrédulité s’est par la suite dissipée quand, dans la même année, trois équipes différentes de chercheur ont pu reproduire, chacune de son coté, les résultats du Pr Yakayama. Depuis, nous nous efforçons, comme le fait la Fondation, de faire connaître ces cellules iPS qui résolvent le dilemme éthique des cellules souches pluripotentes..

Les chercheurs continuent-ils à utiliser des cellules embryonnaires ou se mettent-ils à utiliser des iPSC ?

La lecture des publications scientifiques montre que la tendance actuelle est de travailler avec les iPSC tout en poursuivant en parallèle les études sur les CSEh, parce que celles-ci demeurent pour le moment le standard auquel on se réfère. Mais il semble inéluctable que les recherches utilisant les iPSC deviennent peu à peu majoritaires.

Cependant, cette évolution prend du temps parce que beaucoup de rumeurs ont couru sur la qualité des iPSC. Maintenant, on sait parfaitement que les laboratoires qui font une bonne reprogrammation cellulaire arrivent à produire des cellules iPS de qualité, stables épigénétiquement, parfaitement utilisables pour la modélisation et le criblage.

Une autre raison à cette lenteur dans la mise en application des iPSC tient à l’idée qui a très longtemps prévalu que seules les CSEh étaient capable d’apporter la réponse aux besoins des laboratoires et des patients. On pensait en effet que les cellules souches pouvaient réparer les tissus en se multipliant et en se convertissant dans les tissus locaux. Comme les cellules souches embryonnaires sont celles qui prolifèrent le mieux, tous les efforts publicitaires ont été portés dans cette direction, que ce pour le grand public ou pour les parlements nationaux. On sait aujourd’hui que l’action des cellules souches est plus complexe que ce simple effet de multiplication cellulaire et que d’autres cellules souches (cellules dites « adultes » ou cellules du cordon ombilical) donnent des résultats intéressants chez les patients sans avoir les qualités prolifératives des CSEh. De plus, les CSEh n’ont pas encore été utilisées en clinique, contrairement aux cellules souches adultes. Et, les résultats des quelques essais cliniques entrepris avec ces cellules se font attendre… Une certaine désillusion a donc commencé à pénétrer les esprits des scientifiques attachés aux seules cellules souches embryonnaires, les portant à s’ouvrir à d’autres réalités, dont celle des iPSC. Mais ce changement d’objectif prend du temps.

Comment expliquez-vous que la France, a contrario de l’évolution générale, persiste dans sa volonté d’utiliser des CSEh?

Je crois que les responsables politiques sont très en retard : ils en sont restés à cette illusion des CSEh guérissant tout. En outre, la plupart d’entre eux sont anesthésiés sur le plan éthique : ils ne voient donc aucun inconvénient à ce que l’on crée et utilise des vies humaines pour en soigner d’autres. Pour eux, la fin justifie les moyens. On peut remarquer, pourtant, qu’aucune découverte n’a jamais été faite en passant par-dessus l’éthique. Un tel retard est grave pour la recherche française et son futur dans le domaine des thérapies cellulaires : le temps, les compétences et les moyens que l’on continue d’investir quasi exclusivement sur les CSEh, sont autant de perdu pour les développements dans d’autres domaines cellulaires de valeur, où les chercheurs étrangers nous ont depuis trop longtemps précédé – en particulier pour les iPSC.

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