Actualités de la fondation

La France, une réalité de chair et de sang à aimer

Chronique
Éditorial
News
18 Mai 2020 La France, une réalité de chair et de sang à aimer

Laissant aux théologiens la grâce de décréter si la pandémie est un châtiment divin, aux experts le talent de parler sans savoir, aux politiques de savoir sans dire et aux citoyens de juger comme ils le pourront, je n’ai pas l’intention d’ajouter une paraphrase malhabile aux critiques circonstanciées sur les masques, les tests, les lits, les respirateurs, les médicaments, l’impérialisme chinois et la crise économique On en prend au moins pour dix ans à démêler l’écheveau des causes et des conséquences de ce drame et chacun devra prêter main forte à la reconstruction.

En revanche, je voudrais montrer ce que représente, dans le contexte actuel, la vision longue portée par la fondation Jérôme Lejeune. On le sait, elle travaille au profit des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle d’origine génétique, notamment de la trisomie 21, leur offrant une pratique clinique et un effort de recherche dont elles étaient privées. Cette population est devenue la cible privilégiée d’un eugénisme désinhibé et son éradication le modèle expérimental revendiqué des théories transhumanistes qui rétablissent sans douleur la distinction des surhommes et des sous hommes. Petit à petit se développent une industrie et une police de la vie et de la mort, un biopouvoir que certains appellent déjà un « ordre établi » et qu’on voit se renforcer sous nos yeux, chaque loi de bioéthique rajoutant son tour de vis, de droite, de gauche et du centre. Dans cette apothéose de l’utilitaire et du rentable où l’homme lui-même est menacé de devenir un luxe superflu, la fondation a choisi depuis un quart de siècle, et contre les grandeurs d’établissement, la défense concrète des plus faibles qui est la cause en apparence la plus modeste mais celle qui les contient toutes. Or, l’un des premiers enseignements de cette pandémie est d’avoir mis quasiment toute l’humanité au même niveau que les plus faibles de ses membres. L’homme fort à qui l’on ne cessait de promettre d’être augmenté, invincible et immortel (« la mort de la mort » !) et qui finissait par y croire, se découvre soudain dans sa réalité, indépassable, être aussi fragile et précieux que ceux dont il ne pensait pas partager le sort. La fragilité nous rapproche, elle est notre point commun et porte le nom oublié de nature humaine. Cette irruption d’un rayon d’humilité à travers un nuage d’illusions entretenu avec complaisance depuis des lustres remet les pendules à l’heure, les compteurs à zéro et l’église au milieu du village. Il n’y a plus de riches, de pauvres, d’élites ou de gilets jaunes, de génies et de simples d’esprit quand on se côtoie sous des respirateurs. Plongé en coma artificiel on se sent beaucoup moins surhumain. Etonnamment, d’improbables indignations se font jour. Le sort des personnes âgées, placées en EHPAD, commence à apparaître pour ce qu’il est. Au nom de quel contrat social, de quel vivre ensemble, de quel amour des ponts et rejet des murs, avons-nous consenti à parquer nos parents, contribuables et cotisants pendant une vie entière, dans des établissements interdits d’accès où le scandale n’est pas tant la mort que l’abandon, la solitude et le désespoir ? Etonnamment, alors qu’hier il fallait à tout prix que meure une personne handicapée qui n’était ni sous respirateur, ni dans le coma, ni en fin de vie, aujourd’hui tout le monde doit être sauvé, y compris ceux qui se trouvent dans une situation moins favorable que celle de Vincent Lambert il y a un an. On n’entend plus beaucoup parler de lois expéditives sur la mort donnée par compassion et les partisans bravaches des directives anticipées ne semblent pas pressés de faire valoir leurs téméraires injonctions aux réanimateurs. Par enchantement, on n’évoque plus d’obstination déraisonnable ni d’acharnement thérapeutique à sanctionner, toute obstination thérapeutique étant déclarée bienvenue et saluée avec reconnaissance. Etonnamment, les débats surréalistes sur le sexe des anges dans lesquels les politiques se sont englués pendant des mois, à la grande honte des Français, pour savoir si une mère pouvait être un père, une femme un homme (ou le contraire, on s’y perd) ont fait long feu. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » écrivait Montesquieu. Il est heureux de s’en rendre compte au moment de se retrousser les manches devant la tâche qui attend notre pays. Telle est la vertu immense du principal enseignement de la crise : un retour au réel.

Pour autant, il ne faudrait pas crier victoire car la partie est loin d’être gagnée. En effet, dans une guerre, il y a toujours des héros et des profiteurs. Ceux qui se battent pour sauver des vies, à toutes heures du jour et de la nuit, sont applaudis chaque soir et la fondation n’est pas la dernière à s’associer à cet hommage. Mais il y a eu aussi, dès le début du confinement, des idéologues assez égoïstes pour instrumentaliser, détourner, réorienter la crise à leur profit, et réclamer une mesure mortifère par nature, à savoir l’allongement du délai de l’IVG. Sachant qu’aucun homme politique n’a jamais fait carrière sans brûler son grain d’encens à l’avortement, le ministre de la santé s’est cru obligé de déclarer qu’il y avait en France « une réduction inquiétante du recours à l’IVG (on se demande bien laquelle ?) », et d’ajouter qu’il était « hors de question que l’épidémie de Covid-19 restreigne le droit à l’avortement dans notre pays ». Autrement dit, ce n’est pas la vie qui est menacée, c’est la mort. En conséquence, le gouvernement a lâché, en catimini, une libéralisation supplémentaire de l’avortement en étendant l’IVG médicamenteuse à domicile de 7 à 9 semaines. Comme s’il n’y avait pas assez de morts tous les jours, il faut en rajouter. Alors que les Français ont été contraints d’accepter que les établissements de santé déprogramment toute activité chirurgicale ou médicale non urgente, qu’il y a donc des diagnostics qui ne sont pas posés, des interventions qui sont reportées, des patients souffrant de pathologies graves qui ne sont plus suivis, il y a un secteur sanctuarisé et un seul, c’est celui d’une activité mortifère qui, faut-il le rappeler, ne constitue ni un droit, ni un soin, ni une urgence, ni un acte médical. Jamais peut-être ne s’est cristallisé avec autant de force le combat entre la vie et la mort que dans cette valeur suprême reconnue à cet acte si contraire à l’esprit des temps tragiques que nous vivons : tout est interdit sauf de manger du fruit de l’arbre défendu, sinistre inversion du Paradis perdu. 

Certains disent que rien ne sera plus comme avant. Il est à craindre le contraire. Ce droit exorbitant supérieur à tout, y compris à la vie elle-même, et qui autorise n’importe quoi, est une épine idéologique fichée dans le réel qui discrédite le politique et compromet nécessairement l’avenir. C’est aux marges que se juge une civilisation, pas aux effets de manches. Au-delà des discours incantatoires sur la fraternité universelle dans laquelle nous baignerions désormais sous l’effet du virus, les 250 000 avortements annuels en France depuis 1975 font l’effet d’une mortelle performance pour maintenir le symbole révolutionnaire d’une éternelle révolte de l’intelligence et de la volonté contre ce qui est. La famille fait l’objet, non d’une destruction, mais d’une méticuleuse reconstruction sur des bases qui devraient être qualifiées de crimes contre l’humanité. L’embryon humain est devenu un matériau de laboratoire, rentable et renouvelable à perpétuité. L’euthanasie est une demande récurrente et entretenue qui fait son chemin pas à pas. Toutes ces transgressions nourrissent les fameuses lois sociétales qui font les beaux jours des majorités politiques du moment parce ce qu’elles ne coûtent apparemment rien à l’économie, qu’il est facile de les draper dans les plis du progrès triomphant et qu’elles ont le chic d’épater la galerie médiatique. Mais une société ne peut être durablement fondée sur ces mensonges qui la détruisent. Le test de confiance sera celui de la loi de bioéthique, encore en débat, accumulation totalement délirante de mesures inutiles, attentatoires à la vie et à la famille. Si l’Etat cultivait sa grandeur avec un peu plus de cœur et de raison, il renouerait les liens qui nous constituent. Nous les voyons refleurir aujourd’hui avec une nouvelle jeunesse, les liens de la famille et de la solidarité nationale sans lesquels nous ne pourrions pas supporter la crise. Voilà qu’on célèbre l’esprit de sacrifice des soignants au péril de leur vie, le dévouement sans récupération, le désintéressement et par-dessus-tout cette aptitude à prendre sur soi, à assumer, à supporter la cohorte des erreurs, des manquements et des fautes de ceux dont la charge aurait été de prévoir puisqu’ils gouvernaient. Notre pays mérite simplement d’honorer les valeurs qui le font vivre et les héros qui le sauvent aujourd’hui. Nul besoin, M. le Président de la République, de « réinventer » la France qui n’est ni un concept à chambouler, ni une machine à bricoler, ni un système à ajuster, mais une réalité de chair et de sang à aimer.

Partager l'article sur