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La notion de progrès remplace ce qui est juste, ce qui est vrai, ce qui est moral

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29 Août 2018 La notion de progrès remplace ce qui est juste, ce qui est vrai, ce qui est moral

INTERVIEW de Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, dans L’Incorrect :
Président-fondateur de la fondation Jérôme Lejeune depuis 1996, Jean-Marie Le Méné a depuis longtemps dénoncé les différentes lois sur la bioéthique qui ne font qu’entériner des transgressions éthiques. Au-delà de la PMA, Jean-Marie Le Méné dénonce une libéralisation de la recherche sur l’embryon et une toute-puissance de la technique

Tous les combats dits « sociétaux » ont été perdus depuis 1975. Est-ce une fatalité ou la conséquence de notre impréparation devant l’adversaire ? Y a-t-il un sens de l’histoire sur ces questions ? Ou bien plus généralement, est-ce la démocratie qui serait inapte, par principe, à faire prévaloir la vérité dans le débat public ?

Politiquement, la loi Veil illustre un modèle de violence politique digne d’un dialogue de Thucydide. Les réformes rêvées par une gauche glorieuse, mais réalisées par une droite piteuse, ont précipité le politique sur un chemin de traverse. Il n’y a plus de distinction spécifique du politique, c’est-à-dire de discrimination de l’ami et de l’ennemi, dans la mesure où le vote de l’IVG a brouillé les pistes. Tandis que la gauche et la droite ont affiché une convergence de façade autour de la loi de 1975, s’est construite une relation scabreuse où c’est la gauche qui monte la garde et la droite qui baisse la sienne. Avec le vote de la loi Veil, la droite a « gagné » une liberté sous protection de la gauche. La droite a fait allégeance sur le plan culturel à une gauche qui définit le périmètre d’évolution de la droite et la charge même de faire avancer certains de ses projets. Comme le poisson rouge dans son bocal, la droite est en liberté surveillée, associée à une soumission à la gauche quel que soit le parti au pouvoir. De ce fait, la gauche peut fort bien se dispenser d’être au pouvoir, en pratique elle y est toujours. La droite peut faire ce qu’elle veut pourvu que, sur les questions morales, la gauche donne le cap. Ainsi s’expliquent que ce sont bien les trois premières lois de bioéthique de 1994, 2004 et 2011, votées sous la droite, qui ont posé les bases de toutes les transgressions que nous connaissons et de celles qui arrivent. Aujourd’hui où ni la droite ni la gauche ne sont au pouvoir mais une formation hybride qui emprunte le libéralisme de la première et le libertarisme de la seconde, la machine à transgresser fonctionne encore mieux. La valeur suprême est le progrès sous toutes ses formes. Notre droit positif doit en assurer une égalité d’accès à tous, d’où un foisonnement de droits individuels. Et le marché arbitre ce foisonnement, en l’absence de tout critère moral. Dès lors que techniquement une chose est faisable, elle doit pouvoir être faite au profit du plus grand nombre. Tel est la doxa officielle sur la PMA pour toutes, par exemple. Pour aller plus vite, on a recours au procédé des « illégalités fécondes ». C’est ainsi que René Frydman, pour plaider en faveur de la PMA pour toutes, a signé dans Le Monde, aux côtés de 130 autres spécialistes, un appel dans lequel tous reconnaissaient avoir violé la loi. Les juges ne punissent plus et la complicité de certains médias permet d’exercer une pression sur le politique. Il suffit de changer la règle, pour être en règle. Et le tour est joué. Cela fait plus de 40 ans que cela dure. Ainsi, depuis l’avortement, toutes les transgressions sont, non pas régulées, mais régularisées par la loi. Telle est le fonctionnement de la démocratie aujourd’hui. Ceux qui gagnent sont ceux qui sont favorables au progrès. La notion de progrès remplace ce qui est juste, ce qui est vrai, ce qui est moral. Il suffit de le savoir. Mais est-il bien raisonnable d’entrer dans ce jeu de dupes ?

Pourquoi une certaine opinion publique, particulièrement présente au sein du monde catholique, se limite-t-elle à voir un problème dans la PMA à partir du seul moment où elle est proposée aux couples homosexuels ou aux femmes seules ? N’est-ce pas réducteur d’évoquer de la sorte cette question ? D’une manière générale, pouvez-vous nous dire pourquoi le principe même de la PMA vous semble-t-il illégitime ? Et quels risques comporte-t-elle en matière d’eugénisme ou de respect de la vie humaine ?

Il est évident qu’à moins de revenir sur le mariage homosexuel ou sur la disponibilité de l’embryon humain, rien ne s’oppose juridiquement à la PMA pour toutes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas la combattre mais tous les arguments utilisés ne sont pas bons. Critiquer la PMA pour toutes qualifiée de transhumaniste au nom d’une PMA hétéro qualifiée de médicale est une erreur. La PMA pour toutes n’est pas moins médicale ni plus transhumaniste que la PMA hétéro. Les deux sont transhumanistes et aucune des deux n’est médicale. Toute PMA, par nature, instrumentalise l’embryon humain qui peut être fait, défait, refait, parfait. Il n’y a donc pas une bonne et une mauvaise PMA en fonction de ses bénéficiaires. Utiliser cet argument conduit nécessairement à minimiser la critique de l’industrie procréatique qui permet toutes les PMA et dont la PMA pour toutes n’est qu’une option au sein d’un vaste marché.

On parle beaucoup de la PMA mais le Conseil d’État, dans son rapport commandé par le Premier ministre, évoque aussi tout un ensemble de pratiques qui conduiront à une libéralisation très inquiétante de la recherche sur l’embryon.

La PMA pour toutes est l’arbre qui cache la forêt. Dans le domaine de la génomique, le Conseil d’État ne s’opposerait pas à l’extension des tests génétiques en dehors du cadre médical, à la fabrication d’embryons transgéniques, au diagnostic préconceptionnel, à l’extension du diagnostic préimplantatoire à la trisomie 21, l’ensemble de ces pratiques conduisant à augmenter la pression de l’eugénisme déjà très forte dans notre pays. Dans le domaine de la recherche sur l’embryon humain qui, rappelons-le, conduit à le sacrifier, on assiste à une libéralisation qui dispensera de plus en plus les scientifiques de solliciter une autorisation. La recherche sur l’embryon pourrait passer de 7 à 14 jours. Les stocks d’embryons donnés à la recherche et inutilisés pourront être massivement détruits. La création d’embryons chimères pourrait être envisagée. Ces transgressions passeront comme lettre à la poste. Les médias n’en parleront guère. Elles ne me paraissent pas moins graves que la PMA pour toutes.
◆ propos recueillis par B.D.

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