constitutionnel ?
Dénoncée par beaucoup comme une « remise en cause du droit à l’avortement », la décision de la Cour suprême américaine permet désormais aux états fédérés de choisir librement leur législation sur l’avortement.
En renversant notamment un précédent bien connu, l’arrêt Roe v. Wade2, qui consacrait un droit constitutionnel à l’avortement jusqu’à 24 semaines de grossesse, la Cour s’en remet donc à la démocratie, laissant les citoyens américains électeurs décider de la législation sur l’avortement pour leur Etat.
Il faut relever l’absurdité de l’émoi suscité en France par une décision américaine, qui ne concerne que les États américains et sans impact outre Atlantique. Par une transposition simpliste de ces faits, des politiques français ont créé un débat délirant en imaginant un danger. Tant et si bien que le projet d’inscrire le « droit à l’avortement » dans la Constitution a fait irruption. Cette revendication hâtive sans fondement mérite une analyse pour comprendre en quoi le « droit à l’avortement » ne peut en aucun cas devenir un droit constitutionnel.
D’abord, si l’avortement était un droit, il supposerait un sujet de droit : la femme, et un objet de droit : l’embryon. Or, aucun être humain ne peut être objet de droit3. Et même si l’enfant à naître n’a pas le statut de personne juridique, il est communément admis qu’il fait partie de l’espèce humaine : il est un être humain. Ainsi, personne, ni une femme ni un homme, ne peut exercer sur l’être humain qu’est l’embryon un droit de disposer : c’est contraire à sa dignité4.
A défaut d’être un droit, l’avortement peut tout au plus être considéré comme une liberté donnée à la femme5. Or, la liberté porte intrinsèquement des limites parce qu’elle ne s’exerce pas seule, mais avec d’autres dans une société.
Mais pourquoi consacrer cette liberté d’avorter alors qu’elle bénéficie déjà d’une protection constitutionnelle ?
En effet, les constitutionnalistes précisent que le « droit à l’avortement » relève de la protection de la liberté des femmes, garantie par l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à valeur constitutionnelle6. Il existerait donc déjà une protection constitutionnelle de la liberté d’avorter, ancrée dans la loi et le bloc constitutionnel.
Une réforme constitutionnelle est d’une envergure bien disproportionné au danger qui menace le droit des femmes à avorter en France, s’il en est un. La réaction excessive des politiques démontre d’abord leur facilité à instrumentaliser l’actualité. En l’occurrence, proposer de constitutionnaliser l’avortement a eu pour effet de souder l’essentiel des forces politiques autour du groupe majoritaire présidentiel à l’Assemblée et du gouvernement.
Et par-dessus tout « l’hostilité aveugle » des politiques français manifeste l’idéologie qui imprègne ces débats autour de la vie. Vouloir inscrire l’avortement dans la Constitution, c’est vouloir en faire un marqueur de l’identité d’un pays, d’une société. D’autant plus que la Constitution de 1958 qui pourrait être modifiée ne contient aucune consécration de droits subjectifs, pas même le droit à la vie. Intégrer le droit à l’avortement dans la Constitution reviendrait à ériger l’autorisation de tuer en une norme d’organisation de la société, norme supérieure à tout autre droit.
1 Cour Suprême, Dobbs v. Jackson women’s health organization, 24 juin 2022
2 Jane Roe v. Hanry Wade, District attorney of Dallas County, 22 janvier 1973
3 « La loi […] garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » dispose l’article 16 du Code civil. Ce respect suppose que l’être humain ne peut être réifié.
4 Le Conseil constitutionnel a consacré en 1994 un principe de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine », qui a une valeur constitutionnelle sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946. Cette protection inclut l’embryon un utero.
5 Bertrand Mathieu, La Croix, 28 juin 2022 :
« L’avortement n’est pas un droit fondamental mais une liberté fondamentale »
6 Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n°2001-446 : la possibilité d’avorter est envisagée sous l’angle de la « liberté de la femme qui découle de l’article 2 DDHC ».
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