Bioéthique. Chaque semaine, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, analyse pour Valeurs actuelles l’actualité du transhumanisme.
Bonne nouvelle. Le transhumanisme ne savourera jamais sa victoire tant sa victoire est sa défaite. Son point d’achoppement rédhibitoire est la mort. En faisant de l’abolition de la mort son rêve et sa clé de voute, il se saborde. Ce qui le justifie le tue. En effet, s’il se flatte d’être scientifique et de n’être que cela, le transhumanisme, immédiatement, n’est plus scientifique dès qu’il promet la mort de la mort. Il jette aux orties la blouse blanche du scientifique pour endosser la bure du prophète ou la camisole du fou. Car promettre l’immortalité ne relève pas de la science mais seulement de la religion ou de la supercherie. La science observe modestement que toute vie a une fin. Elle peut précipiter cette fin ou la retarder. Ce n’est déjà pas si mal mais c’est tout. Promettre l’immortalité n’engage à rien le transhumaniste pour la bonne raison que, par définition, il ne pourra jamais en apporter la preuve. Quel sera le dernier homme qui fera le constat de l’immortalité ferme et définitive et qui publiera ses observations dans une revue scientifique? Par construction le notaire de l’immortalité ne naîtra jamais puisqu’il lui faudra toujours un successeur pour constater sa propre immortalité et ainsi de suite. Cela ne veut pas dire que l’immortalité n’existe pas, mais que ce n’est certainement pas au transhumanisme de nous la prêcher sauf à confondre article scientifique et article de foi.
La vérité, c’est que le transhumanisme n’est pas une religion mais une sorte de secte qui dévore ses sectateurs comme toutes les sectes. Il a inventé le crime plus que parfait dans lequel c’est celui qui devrait prendre soin de la victime qui en devient le bourreau sous les applaudissements du public. Cette institution que le transhumanisme tente de pervertir c’est la médecine qui aurait tort d’accepter de jouer ce rôle. Le but du jeu étant bien sûr de donner toutes ses chances au rêve d’immortalité. Or, ce ne sont certainement pas les enfants trisomiques qui pourront en bénéficier. Exit les enfants trisomiques. Pas plus les enfants atteints de maladies dégénératives comme Alfie Evans. Exit Alfie Evans. Pas davantage les victimes d’accidents de la route devenues tétraplégiques comme Vincent Lambert. Exit Vincent Lambert. Ni les personnes en fin de vie et incontinentes qui nous coûtent une fortune. Exit les personnes en fin de vie et incontinentes. En lui conseillant d’agir par élimination – c’est le cas de le dire – le transhumanisme assigne à la médecine de déblayer le terrain pour l’homme augmenté.
Là où le transhumanisme est fort, c’est qu’il ne se cache de rien et répète honnêtement son credo à qui veut l’entendre. Il est pour les surhommes qu’il s’ingénie à fabriquer à façon et son eugénisme consubstantiel lui fait condamner les sous-hommes en masse. Il faut laisser le champ libre. La seconde opération est d’ailleurs plus expéditive et concluante que la première. Le transhumanisme n’est pas pour le meilleur des mondes mais pour le monde des meilleurs. Nous sommes prévenus. On a même la liberté de le contredire. Peu de siècles ont été plus moraux que le nôtre, au moins en paroles. Chaque jour c’est un feu d’artifice d’idées généreuses, un festival de sincérités successives, d’engagements pour des valeurs sublimes. Cependant, dès qu’il s’agit de croire aux idées qu’on défend, concrètement, sur le vif, en vrai, l’enthousiasme s’étiole. Nous venons d’en avoir des exemples récents des deux côtés de la Manche avec les affaires Vincent Lambert et Alfie Evans. Etonnant parallélisme où l’on retrouve des décors, des coulisses, des ficelles, des mensonges identiques. Et le même mutisme complice des institutions morales et politiques des pays concernés. Comme s’il fallait laisser le monopole d’une vision transhumaniste imposer sa loi aux derniers sous-hommes. Dans les deux cas, il s’agit bien de forcer la main du législateur pour qu’enfin il grave dans le marbre la maîtrise du vivant de son premier instant à son dernier souffle. Tant mieux si les cas sont choquants, ils seront autant de cliquets anti retour. Si le juge accepte l’euthanasie d’un enfant qui peut se passer de respirateur, a fortiori on l’acceptera pour celui qui ne peut s’en passer. Si le juge accepte l’euthanasie d’un tétraplégique qui n’est ni malade, ni souffrant, ni en fin de vie, ni sous traitement, le sort de ceux qui sont moins bien lotis sera vite réglé. Il n’est pas exclu que cet acharnement euthanasique parvienne à ses fins. Il signera l’échec patent du transhumanisme qui asservit plus vite qu’il ne libère. Des millions d’hommes et de femmes, parfois accompagnés ou précédés par des souverains authentiques, ont manifesté qu’ils n’étaient pas dupes de cette vision inhumaine. Mais ce ne sont pas encore eux qui font les lois du monde.
En attendant… c’est ainsi que le transhumanisme est grand.