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Rencontre avec la scénariste de réalisatrice du film « Apprendre à t’aimer »

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17 Nov 2020 Rencontre avec la scénariste de réalisatrice du film « Apprendre à t’aimer »

La Fondation Jérôme Lejeune a eu la chance de rencontrer Stéphanie Pillonca, scénariste et réalisatrice du téléfilm Apprendre à t'aimer, et qui s’est volontiers prêtée au jeu de nos questions-réponses.

Apprendre à t’aimer, un téléfilm d’1h30 a été diffusé le 8 septembre dernier sur M6. Dans ce téléfilm, Franck (Ary Abittan) et Cécile (Julie de Bona) viennent de donner naissance à une jolie petite fille, Sarah. « Tu ne trouves pas ses yeux bizarres ? », demande Franck à Cécile. « Qu’est-ce qui te prend ? Elle est juste magnifique » lui rétorque-t-elle. Pourtant, quelques jours après la naissance, le diagnostic tombe : Sarah est porteuse de trisomie 21. Ce film raconte l’histoire tumultueuse de la relation de ce couple à cette petite fille trisomique, et les chemins qu’il va emprunter pour accepter la différence de Sarah et apprendre à l’aimer.

Pouvez-vous nous dire comment est née l’idée de départ du film ?
Stéphanie Pillonca : Quand j’ai tourné « laissez-moi aimer » (film documentaire qui met en lumière trois amis handicapés, trois destins qui découvrent la pratique de la danse), j’ai été amenée à rencontrer des papas d’enfants avec une trisomie 21. Dans ma tête « idiote », je pensais que l’enfant avec une trisomie 21 était forcément un petit dernier, qui n’était pas prévu, arrivait dans des familles plutôt abritées avec des convictions, et qui se disent qu’elles peuvent bien accueillir cet enfant différent. Je ne savais pas qu’on pouvait passer au travers des gouttes du diagnostic prénatal, que ces enfants pouvaient être le fruit d’un amour de jeunes couples. Ces papas ont accepté de témoigner. Cette trentaine de pères m’ont dit qu’ils n’avaient pas voulu de cet enfant différent, et qu’il leur avait fallu du temps pour accepter et aimer cet enfant. Chez la femme, c’est différent. Il y a ce caractère sacrificiel de la responsabilité. Elle va tout faire pour raccommoder les uns et les autres, quand la famille est divisée, quand il y a un souci avec l’un ou l’autre de la fratrie. La femme a ce côté petit soldat qui va prendre sur elle, vivre et faire que tout aille bien tout le temps. Beaucoup de mamans m’ont témoigné qu’elles étaient descendues très bas pendant 24 ou 48 heures et qu’elles avaient été obligées ensuite très vite, de remonter la pente, parce qu’il n’y avait personne à part elle pour faire face. Et puis, c’est votre enfant, donc vous l’aimez passionnément. Les papas m’ont dit qu’ils avaient eu honte, qu’ils étaient descendus très bas, qu’ils étaient partis dans des excès de toute forme. Ils reconnaissent avoir été démissionnaires, ne pas avoir « assuré ». Au début en tout cas.
La vérité, c’est que l’homme a peur de ce qu’il ne connait pas. C’est la figure de l’étranger de Ricœur. Mais une fois que l’homme a évalué les possibilités, qu’il est apaisé, il peut s’autoriser à aimer.

Avez-vous été surprise par le succès de votre téléfilm ?
SP : Je n’ai pas été surprise de l’accueil qui lui a été fait mais de son succès, oui. Avec les films que j’avais précédemment réalisé (et notamment « Laissez-moi aimer »), j’avais bien vu que le public était disposé à recevoir certaines choses. Mais j’étais habituée à un public « initié », à des documentaires diffusés sur des chaînes avec moins d’audience. Je ne m’attendais donc pas à un tel succès d’audience, sur une chaine de télévision aussi populaire, auprès d’un public aussi large (surtout que ce soir-là, il y avait un match de foot sur une chaine concurrente !). Près de 4 millions de personnes étaient devant leur écran pour regarder « Apprendre à aimer ». Sans compter les rediffusions. Je suis très heureuse de l’enthousiasme unanime des journalistes qui me touche beaucoup.

Qu’est-ce qui vous a le plus touché à travers Apprendre à t’aimer ?
SP : J’ai découvert une chaine de solidarité incroyable entre parents d’enfants trisomiques. Une chaine qui unit des parents « jeunes » dans leur parentalité à des parents d’enfants déjà plus « âgés ». Des parents de toute condition sociale, de tous milieux confondus, de toutes confessions. Tous ces parents sont unis par la trisomie 21 de leur enfant. Et cela, je ne l’ai jamais trouvé en partageant le quotidien de personnes avec un autre handicap. Pour préparer ce film, j’ai rencontré des mamans, des papas. J’ai vécu avec ces familles, quelques jours, quelques semaines, et j’ai découvert une véritable « fraternité ». Réaliser ce film nous a liés. Du coup, maintenant, dès que je fais quelque chose, j’ai mon « crew ». Certains réalisateurs ont leur crew avec des stars, moi, j’ai mon crew avec des bébés trisomiques. Cela me donne une force de dingue ! J’ai été très touchée à l’avant-première du film, dans un grand cinéma parisien, quand à la fin j’ai demandé à toutes les familles qui avaient témoigné de monter sur scène, parce que c’est là qu’elles devaient être. Et devant cette scène, vous aviez le Tout Paris des journalistes, de gens du métier, et ils sont tous restés bouche-bée. Avec la trisomie, il n’y a pas de place pour l’orgueil, pas de place pour les salamalecs. On est tout de suite dans la vérité.
Et j’ai découvert la plus grosse agence de communication au monde ! Ce sont toutes ces mamans qui ont chacune leur compte Instagram, Facebook, et qui embarquent le monde avec elles, derrière elles ! Elles témoignent de leur quotidien avec leurs joies et leurs peines. C’est quelque chose de phénoménal que j’ignorais totalement avant de m’intéresser à la trisomie 21. C’est aussi grâce à Instagram que j’ai pu trouver l’acteur porteur de trisomie 21 qui joue un champion de judo, et que j’ai rencontré toutes ces familles.

Une chose que vous aimeriez que les téléspectateurs retiennent d’ « Apprendre à t’aimer » ?
SP : Si demain matin, après avoir vu le film, vous croisez une personne avec une trisomie 21 et que vous avez envie de lui faire un sourire, un check, de lui faire une étreinte, j’aurai gagné !
Si vous pouvez vous dire « j’avais peur, mais c’est mon ignorance qui m’emprisonnait, qui m’entravait », j’aurai gagné.
Si vous vous dites « la prochaine fois que je vois une personne trisomique, je la regarderai différemment, j’essayerai d’aller au-delà de mon jugement, je tâcherai de développer une complicité », j’aurai gagné.
Je pense que les films, les petites choses légères qui témoignent de tendresse, sont des outils pour essayer de mieux se comprendre, se connaitre. Ce sont des instruments pacificateurs de la société. Le plus important à mettre en œuvre dans notre société, c’est de faire attention au plus faible, à la personne fragilisée, aux plus petits.
Si dans une pièce où se trouvent 15 personnes, vous faites entrer quelqu’un de bien habillé, de performant, de brillant, il ne se passera rien dans cette pièce qui fasse avancer notre humanité. C’est paradoxal parce que c’est sur ces personnes-là que la société mise le plus. En revanche, vous faites entrer une personne trisomique, vous allez avoir envie d’écouter, de rire, de donner la main. J’en ai fait l’expérience sur mon plateau de techniciens. Aucun n’est junior, ils ont tous roulé leur bosse et travaillé avec les plus grands réalisateurs. Et quand à la fin du tournage, un gaillard de 60 ans qui fait du cinéma depuis qu’il a 20 ans, vient te trouver en te remerciant parce qu’il aurait aimé être le papa de cette petite Sarah, c’est magnifique !
Pour conclure, je dirais qu’il y a un mystère avec la trisomie 21. Il y a quelque chose qui nous dépasse, un secret. Les personnes trisomiques sont détentrices d’une humanité que nous n’avons pas.

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