L’Assemblée nationale est en train d’examiner le projet de loi de bioéthique en première lecture. PMA, recherche… l’embryon est en première ligne des débats. Mariette Guerrien, juriste à la fondation Jérôme Lejeune, fait le point sur le site Gènéthique.
Gènéthique : De quoi parle-t-on quand on parle de recherche sur l’embryon ?
Mariette Guerrien : La recherche sur l’embryon est un sujet sensible. Pourquoi ? Et bien parce qu’elle a pour préalable la destruction d’un embryon humain. L’embryon humain est un être humain, le plus jeune membre de l’espèce humaine.
L’embryon humain in toto, c’est-à-dire dans son entièreté, intéresse l’industrie de la procréation pour le développement des techniques d’assistance médicale à la procréation. Les cellules souches embryonnaires (CSEh), dont l’obtention implique la destruction d’un embryon, sont utilisées quant à elle par l’industrie pharmaceutique pour la modélisation de pathologie et le criblage des molécules. Dans ce domaine, les CSEh sont utilisées alors même qu’il existe une alternative efficace qui fait consensus, les cellules souches pluripotentes induites dites iPS.
G : Qu’est-ce que la loi autorise déjà ?
MG : En 1994, la procréation médicalement assistée a permis la main mise sur l’embryon humain. C’est cette pratique qui a rendu possible quelques années plus tard l’instrumentalisation de l’embryon humain pour la recherche.
C’est en 2004 que le législateur a rendu possible la recherche sur l’embryon humain par dérogation pour 5 ans. En 2011, il a pérennisé cette recherche en supprimant le moratoire. Et en 2013, il a opéré un changement de paradigme en substituant le principe d’interdiction par le principe d’autorisation de la recherche sur l’embryon. Depuis 1994, le législateur n’a eu de cesse de libéraliser la recherche et cela s’est fait au détriment de la protection due à l’embryon humain.
Afin d’assurer une protection, bien que relative, de l’embryon humain, plusieurs interdits ont été intégrés dans le droit français, notamment l’interdit de créer des embryons transgéniques ou chimériques. Le législateur interdit également la conception d’un embryon humain par clonage ainsi que son utilisation à des fins commerciales. En conformité avec la Convention d’Oviedo, il interdit également la modification du génome de la descendance ainsi que la création d’embryons pour la recherche.
G : Qu’est-ce qui pourrait changer si le projet de loi de bioéthique était adopté ?
MG : Le projet de loi bioéthique du gouvernement qui a été voté en commission spéciale de l’Assemblée nationale supprime deux interdits fondateurs intégrés dans le code de la santé publique par la loi de bioéthique de 2011 : l’interdit de créer des embryons transgéniques ainsi que l’interdit de créer des embryons chimériques. La levée de l’interdit de créer des embryons transgéniques permettra la création en laboratoire d’embryons humains génétiquement modifiés. Les chercheurs pourront expérimenter légalement sur les embryons humains la technique du ciseau génétique CRISPR Cas9 ainsi que celle de la FIV à trois parents. Cette disposition permise par le projet de loi bioéthique est problématique puisque elle permet la manipulation du plus jeune membre de l’espèce humaine.
G : Si on lève l’interdit, quels sont les risques ?
MG : Avec cette dérive, c’est le patrimoine génétique de l’humanité qui est menacé. En effet, si les embryons génétiquement modifiés sont transférés à des fins de gestation, les modifications du génome seront inévitablement transmises à la descendance. Le gouvernement tente de rassurer en précisant que le projet de loi interdit le transfert à des fins de gestation des embryons génétiquement modifiés. Cela signifie qu’un embryon génétiquement modifié ne pourrait pas, en principe, être implanté pour que la grossesse puisse être menée à son terme.
L’invocation du non transfert à des fins de gestation est un prétexte rassurant pour obtenir une transgression nouvelle. Par ailleurs, elle entre en contradiction avec un autre régime de recherche, le régime de recherche sur l’embryon en AMP qui prévoit le transfert des embryons qui ont fait l’objet de recherche. Comment le Gouvernement peut-il réellement garantir le non transfert d’embryons génétiquement modifiés dans ce cadre ? Il semble que le cadre légal soit déjà prêt pour faire naître des bébés génétiquement modifiés une fois que les techniques de modification du génome seront éprouvées.
Au-delà de cette incohérence juridique, une autre question se pose : quel serait l’intérêt d’autoriser la création d’embryons génétiquement modifiés en laboratoire si à terme leur transfert demeure interdit ?
A juste titre, le Conseil d’Etat qui a rédigé un rapport dans la perspective de cette révision bioéthique a proposé au législateur d’interdire les recherches en édition génique sur les embryons, au motif que l’édition du génome transmissible à la descendance reste, en tout état de cause, prohibé.
G : Est-ce qu’interdire les modifications transmissibles à la descendance est quelque chose de réaliste ?
MG : Au regard de l’actualité scientifique récente, la garantie du non transfert paraît illusoire. A l’étranger, la Chine a déjà franchi la ligne rouge. En novembre 2018, un chercheur a annoncé avoir fait naître des jumelles qui ont été créées et génétiquement modifiées en laboratoire avec l’outil CRISPR Cas9 dans le but de les rendre résistantes au virus du SIDA.
En cas de transfert des embryons modifiés à des fins de gestation, les modifications génétiques vont être transmises de génération en génération. Il sera alors impossible de contrôler les effets indésirables que ces modifications pourraient générer. Ces effets « off target effect » sont inconnus et personne n’est capable de les maîtriser. Il faut savoir que le ciseau génétique est susceptible de modifier un gène non désiré et important. Il est également susceptible d’insérer le gène souhaité là où il ne sera pas ou mal exprimé.
Le principe de précaution impose d’interdire toute modification du génome de l’embryon humain, même en l’absence de transfert à des fins de gestation, pour préserver l’intégrité du génome de l’espèce humaine.
G : Vous parlez de la levée de l’interdit de la création d’embryons transgéniques, qu’en est-il pour les embryons chimériques homme/animal ?
MG : Le projet de loi supprime l’interdit général de créer des embryons chimériques. Il cantonne l’interdit à la seule adjonction de cellules humaines dans l’embryon animale. Cela signifie donc qu’il sera possible de créer en laboratoire des chimères animal-homme. C’est-à-dire que l’on pourra insérer dans un embryon animal des cellules humaines. Au sujet de cette expérimentation, des scientifiques ont identifié un risque de migration des cellules humaines vers le cerveau de l’animal. Le Conseil d’Etat dans son rapport considère qu’il y a un risque de représentation humaine chez l’animal. Cela signifie que certain aspect physique de l’homme pourrait développer chez l’animal. Puisque avec la chimère animal-homme, l’objectif est de faire croitre des organes humains dans des animaux pour pallier le manque de dons d’organes, le projet de loi rend possible le transfert de ces embryons chimériques à des fins de gestation.
La prudence est de mise à l’égard de ces expérimentations puisqu’elles brouillent la frontière entre les espèces.
G : Est-ce qu’il y a encore d’autres points problématiques sur cette question dans le projet de loi de bioéthique ?
MG : Le projet de loi contient deux autres dérives. Pour servir les intérêts de l’industrie de la procréation, il autorise les expérimentations visant à créer des gamètes artificiels. Ces derniers seraient créés à partir de cellules souches embryonnaires ou d’iPS. Le risque c’est que des embryons humains soient créés à partir de ces gamètes artificiels. Même si chez l’homme, la gamétogénèse in vitro n’est pas encore au point, des chercheurs japonais ont réussi à créer des embryons de souris en fécondant des gamètes obtenus artificiellement à partir des cellules de peau de souris.
Le projet de loi autorise également les expérimentations visant à créer de modèles embryonnaires à partir des cellules souches de l’embryon ou des cellules iPS. Les cellules souches embryonnaires par elles-mêmes ne peuvent pas donner un embryon en se fusionnant. Mais si on leur ajoute des cellules souches extra embryonnaires, on assiste au développement d’un organisme ressemblant beaucoup à un embryon en voie de gastrulation. C’est cette expérimentation que le projet de loi autorise. Et elle vise à contourner l’interdit posé par la Convention d’Oviedo de créer des embryons pour la recherche. Le projet de loi autorise également le développement des embryons in vitro jusqu’à son 14ème jour de vie. Cette disposition témoigne de la dérive scientiste du projet de loi, tout ce qui est techniquement possible doit être autorisé.
G : Pourquoi la manipulation de l’embryon humain est-elle problématique ?
MG : La manipulation de l’embryon humain aboutit à instrumentaliser le plus jeune membre de l’espèce humaine. L’humanité de l’embryon humain interdit toute atteinte à son intégrité et à sa dignité. Pour cette raison, la recherche sur l’embryon doit être interdite sans considération de la finalité recherchée. Ce n’est malheureusement pas la perspective que propose le législateur français qui s’oriente vers une manipulation sans limite de l’embryon humain.