TRIBUNE Bioéthique. Chaque semaine, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, analyse pour Valeurs actuelles l’actualité du transhumanisme.
Alors que le CHU de Reims s’est prononcé en faveur d’un “arrêt des traitements” administrés à Vincent Lambert, ouvrant la voie à sa mort programmée, Jean-Marie Le Méné explique que “demain, ce n’est pas seulement Vincent Lambert, mais près de 2 000 personnes dans un état de conscience minimale qui pourront faire l’objet d’une ‘mort dans la dignité’”.
A l’heure où j’écris ces lignes, un médecin de l’hôpital de Reims vient de décider souverainement d’euthanasier Vincent Lambert, une personne handicapée, en application de la loi Leonetti.
Tétraplégique, Vincent Lambert n’est ni sans conscience (même s’il est dans un état de conscience altérée) ni sans relation (même s’il est dans un état pauci-relationnel). On ne peut donc absolument pas dire de sa vie qu’elle est végétative. Un enfant de trois ans comprend tout seul que ce jeune homme est vivant. Il bouge, il tourne la tête, il regarde. Vincent n’est pas en fin de vie, il n’est pas malade, il ne souffre pas. Il respire normalement. Il a juste une sonde gastrique, ce qui, jusqu’à preuve du contraire ne relève pas d’un acharnement thérapeutique ni d’une obstination déraisonnable. Son cas est comparable à celui de milliers de personnes victimes, comme lui, d’un accident de la route. Tel est le témoignage de ses parents qui lui rendent visite tous les jours, de ses proches, des avocats qui l’ont défendu avec détermination, mais aussi des 23 spécialistes qui ont récemment adressé un courrier à l’hôpital de Reims. En vain. Il fallait qu’il meure. Trois raisons principales se conjuguent pour que Vincent Lambert soit euthanasié.
La loi Leonetti-Claeys a anesthésié la mort et les consciences
D’abord, la loi Leonetti de 2005 est une mauvaise loi n’en déplaise aux politiciens de gauche ou de droite et aux bioéthiciens de salons, qu’ils croient au Ciel ou qu’ils n’y croient pas. Et le fait qu’elle ait été votée à l’unanimité n’y change rien. Pour éviter l’obstination déraisonnable, elle a mis en place un système de procédure collégiale permettant à un médecin de décider seul de la poursuite ou de l’arrêt des traitements si le malade est « inconscient ». Malheureusement, la réglementation assimile ce qui relève du soin, et qui est dû à tous, à ce qui relève du traitement, et qui peut être arrêté si le traitement est disproportionné. En conséquence, mettre fin à des traitements, ce qui est légitime s’ils sont inefficaces, signifie aussi mettre fin à la nutrition et à l’hydratation, ce qui revient à euthanasier le malade. Onze ans plus tard, Jean Leonetti, à droite, et Alain Claeys, à gauche, firent adopter un texte parachevant la loi précédente à laquelle on reprochait un effroyable « laisser mourir » par déshydratation. La loi Leonetti-Claeys a donc ajouté au dispositif – et systématiquement – une sédation profonde et continue jusqu’à la mort. Elle a anesthésié la mort et les consciences.
Deuxième raison, l’affaire Lambert est devenue un tremplin idéologique. Elle est à l’euthanasie ce que l’affaire de Bobigny a été pour l’avortement. Les lois Leonetti ont constitué les fondations d’une prochaine loi sur l’euthanasie. Subrepticement, pour lutter contre de prétendues dérives et « mieux mourir », on a modifié la législation. Comme si la médecine moderne française faisait exprès de faire souffrir les patients. Mais ce n’était jamais assez, la gauche a poussé la droite dans ses retranchements et le député Claeys dans les bras du député Leonetti. Au « mieux mourir » doit succéder un « mourir dans la dignité ». Les innombrables péripéties judiciaires, les quatre tentatives d’euthanasie dont les trois premières ont été déjouées, le fait d’avoir laissé Vincent sans nourriture pendant 31 jours sans alimentation et avec une hydratation minimum, la maltraitance dont il a fait l’objet en n’ayant pas de fauteuil adapté ni le bénéfice d’une kinésithérapie ni droit à une rééducation de la déglutition, l’ensemble de ces éléments dessinent un fiasco humain, éthique, médical qui appelle, à l’évidence, une clarification législative. Et puisque tout le monde ou presque a salué les lois Leonetti qui conduisent à l’euthanasie sans le dire, il suffit dorénavant d’oser mettre le mot tabou lui-même dans une loi résolument moderne.
Une bataille de civilisation
Enfin si Vincent Lambert doit mourir, il le devra aussi à l’aveuglement volontaire ou involontaire des autorités politiques, morales et religieuses qui, face aux revendications explicites en faveur de l’euthanasie et aux petits pas effectués dans cette direction, n’ont pas compris l’enjeu. Car il s’agit d’une bataille d’idées, de civilisation, d’une question anthropologique majeure, et non pas d’un concours de philanthropes bienveillants. Qu’est-ce qu’une personne handicapée aujourd’hui sinon un « sous-homme » au début de la vie et en fin de vie ? S’agissant des personnes les plus atteintes, le rapport Claeys-Léonetti relevait d’ailleurs que « ces personnes hors d’état d’exprimer leur volonté sont nombreuses à n’avoir pas rédigé de directives anticipées », et il ajoutait cette phrase lourde de conséquences : « or, il est permis de penser que ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer ». Autrement dit, ces personnes vivantes, mais hors d’état d’exprimer leur volonté, seraient présumées consentir à des gestes d’euthanasie du fait qu’elles sont présumées refuser l’obstination déraisonnable. Demain, ce n’est pas seulement Vincent Lambert, mais près de 2 000 personnes dans un état de conscience minimale qui pourront faire l’objet d’une « mort dans la dignité », c’est-à-dire de gestes euthanasiques.
Il y a moins de trois semaines, la conférence des évêques de France a adopté à l’unanimité une déclaration sur la fin de vie. Cette déclaration intitulée « L’urgence de la fraternité » est excellente. Toutefois, le paragraphe introductif en atténue malencontreusement la portée. Il évoque une « loi qui a été votée récemment, le 2 février 2016. Dans la suite de celle du 22 avril 2005 – dont le retentissement fut international –, elle poursuit l’effort d’une prise en charge responsable et collégiale de la part des soignants pour garantir une fin de vie apaisée. Son application est encore largement en chantier et demande une formation appropriée. Apprécier, au cas par cas, comment accompagner au mieux chaque personne en grande vulnérabilité demande temps, discernement et délicatesse. Changer la loi manifesterait un manque de respect non seulement pour le travail législatif déjà accompli, mais aussi pour la patiente et progressive implication des soignants. Leur urgence, c’est qu’on leur laisse du temps ».
Cette loi est celle au nom de laquelle on peut euthanasier Vincent Lambert. L’urgence de la fraternité serait de ne pas donner à la loi Leonetti-Claeys le temps de tuer.