A – Qui a découvert la cause de la trisomie 21 en fin de compte ?
1) La découverte de la cause de la trisomie 21 fût d’abord le résultat d’un long travail d’équipe, patient et progressif, incluant Marthe Gautier, mais aussi de nombreux autres chercheurs. Gautier affirme pourtant qu’elle a découvert la cause « seule, avec ses laborantines », ce qu’elle contredit aussitôt en avouant qu’elle n’avait pas le matériel nécessaire pour prouver « sa découverte » (voir questions suivantes).
2) Jérôme Lejeune a clairement eu le rôle moteur et celui de coordinateur des recherches, sous l’impulsion du chef du laboratoire Raymond Turpin. Il a bien identifié le 22 mai 1958, pour la première fois, un patient « mongolien » qui avait un chromosome surnuméraire.
3) Des notes du carnet de laboratoire, tenu au jour le jour par Jérôme Lejeune à partir du 10 juillet 1957, indiquent très précisément qu’il fait le décompte par deux fois, les 22 mai et 13 juin 1958, de 47 chromosomes. Ses notes (ses accents mis sur les deux observations) indiquent qu’il réalise l’aspect extraordinaire de la découverte et sa portée.
Références :
• Couverture du carnet de laboratoire tenu par Lejeune : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/14335829151/
• Page du carnet de laboratoire qui indique les premières observations datées : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15164085700/
B – Marthe Gautier a t-elle, comme elle l’affirme, été la première à compter 47 chromosomes ?
1) Tout d’abord, les dates citées par Marthe Gautier pour justifier sa version et expliquer comment elle aurait compté en premier 47 chromosomes sont confuses, ou postérieures aux propres observations de Lejeune :
– Dans son premier article de 2009 où elle accuse Lejeune de s’être approprié sa découverte, elle ne fait pas référence à une date précise. Le seul repère chronologique avancé est celui d’octobre 1958 lorsque Lejeune dévoile publiquement pour la première fois la découverte lors d’un séminaire à Montréal (où il s’est rendu, à la requête de Turpin).
– Dans une interview qu’elle accorde en 2013, elle indique qu’elle confie les lames contenant ses préparations à Lejeune « en Juin 1958 »
…A l’inverse, les notes du carnet de laboratoire de Lejeune indiquent précisément qu’il a fait ses propres observations et comptages dès mai 1958. Soit de 5 à 1 mois d’avance, en fonction des versions de Marthe Gautier.
2) Ensuite les déclarations de Gautier d’avoir pu « réussir seule avec (s)es laborantines (…) à mettre en évidence une anomalie » sont contradictoires. Il est impossible que M. Gautier ait pu établir le comptage des chromosomes toute seule. Elle le dit elle-même dans ses différentes déclarations, puisqu’elle affirme que « Le chromosome supplémentaire est petit, le labo n’a pas de photomicroscope qui permettrait d’attester de sa présence et d’établir le caryotype » puis avoue ensuite que, sans photo, il est impossible d’attester de la présence d’un chromosome supplémentaire…
3) Enfin, la preuve que Marthe Gautier n’a pas fait le décompte la première est apportée de façon non équivoque par une lettre de Turpin datée du 27 octobre 1958 ou celui déclare à Lejeune en voyage à l’étranger : « Mlle Gautier et Mme Massé en sont toujours à 46.”
Références :
– les articles qui montrent les accusations imprécises, changeantes et contradictoires de Marthe Gautier sur ce point:
o http://www.medecinesciences.org/articles/medsci/full_html/2009/04/medsci2009253p311/medsci2009253p311.html
o http://www.newengelpublishing.com/randy-engel-interview-with-marthe-gautier-french-translation/
– lage du carnet de laboratoire qui indique les premières observations datées : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15164085700/
– lettre de Raymond Turpin à J. Lejeune du 27/10/1958 : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15351427675/
C – Est-ce que Lejeune a « séquestré » les préparations de Gautier ? Et donc volé la découverte à Gautier?
1) Encore une fois, les notes du carnet de laboratoire contredisent la version de Gautier selon laquelle les lames contenant ses préparations auraient été « comme séquestrées » (article in Médecine / Sciences de mars 2009) par Lejeune à partir de juin 1958 après qu’il a proposé de l’aider car il avait accès à un microscope :
– Les notes du carnet de laboratoire où sont consignées les observations indiquent que Lejeune a compté 47 chromosomes en mai 1958.
– En outre, le carnet montre qu’il refait le comptage de 47 chromosomes concernant un patient trisomique différent, à plus de trois semaines d’écart de ses premières observations. Cela suppose qu’il ait reçu plusieurs séries de préparations de la part de Gautier à plusieurs semaines d’écart.
2) Comme indiqué ci-dessous, la correspondance entre Gautier et Lejeune dans les mois et années qui suivirent la « séquestration » témoignent d’une collaboration étroite, cordiale et efficace entre eux. On voit mal comment cela aurait été possible après une séquestration et un supposé silence de Lejeune.
3) Par ailleurs, si Marthe Gautier avait eu le rôle prépondérant, pourquoi n’a-t-elle pas lancé la publication sans attendre le retour de voyage de Lejeune à l’automne 1958 ? L’argument de la photo ne tient pas puisqu’elle n’avait pas besoin de la photo pour publier. La publication ne comprend pas de photo et de toute façon qu’est-ce qui l’empêchait de refaire la photo ?
Références :
– page du carnet de laboratoire qui indique les premières observations datées : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15164085700/
– lettre de Marthe Gautier à Lejeune du 20/10/1958 démontrant leur étroite collaboration : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15164660018/
D – Est-ce que Marthe Gautier, comme elle l’affirme, ne connaissait pas Lejeune avant la découverte ? Travaillait-elle seule ? Les rapports entre les membres de l’équipe étaient-ils distants ou tendus ?
Au contraire, les archives montrent un travail d’équipe travaillant en bonne entente et de façon complémentaire tout au long du processus.
1) Une lettre de Gautier de juin 1957 discrédite ses propres accusations comme quoi elle n’aurait pas connu Lejeune, « un nouveau venu », avant son travail de culture cellulaire qu’elle a commencé en juillet 1957. Elle débute sa lettre par « Cher ami, très heureuse d’avoir de vos nouvelles », et le tient au courant de leurs travaux.
2) Marthe Gautier travaillait certes dans un laboratoire à l’écart, monté à la demande du professeur Turpin, mais en collaboration étroite avec l’équipe et en particulier avec J. Lejeune. Elle entretient une correspondance régulière avec lui dès que celui-ci voyage (au moins trois lettres en témoignent) entre 1957 et 1958.
Le professeur Turpin, chef de service, est d’évidence bien au courant des travaux de Marthe Gautier, comme en témoignent notamment ses lettres du 27/6/1957 puis du 12 et du 27/10/1958 où il met à chaque fois Lejeune au courant du travail de celle-ci. Il dit notamment le 12 octobre « Mademoiselle Gautier m’écrit toujours régulièrement ».
Enfin, les relations professionnelles de confiance entre Lejeune et Gautier durent au moins encore trois années après la première publication sur la découverte. Dans sa correspondance à sa femme, Lejeune cite Gautier régulièrement et en des termes positifs qui prouvent que leur collaboration est bonne et continue. Dans une lettre datée du 12 juillet 1962, Lejeune écrit “Gautier qui était arrivée s’est montrée absolument charmante (…) Elle a promis d’aider”.
3) Le contenu de tous les courriers montre clairement une collaboration cordiale et active, et non distante et tendue, même au fil du temps. Marthe Gautier débute toutes ses lettres à Lejeune par « Cher ami » et lui demande même dans sa lettre du 20/10/1958: « Piquez tous les tuyaux que vous pouvez quant aux cultures de tissus et tous les tirés à part que l’on donne au hasard de vos visites. »
Références :
– lettres de Gautier à Lejeune de juin 1957, et du 20/10/1958 : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15164660018/
– lettres de Turpin à Lejeune du 12/10/1958, et du 27/10/1958 : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15351427675/
– lettre de Lejeune à Gautier du 5/11/1958 montrée par Gautier dans son article : http://www.medecinesciences.org/articles/medsci/full_html/2009/04/medsci2009253p311/medsci2009253p311.html
– lettres de Lejeune à sa femme Birthe du 2/7/1961, 16/7/1962 et du 30/7/1962.
E – Lejeune n’était-il qu’un simple stagiaire à l’époque, et inférieur en hiérarchie à Marthe Gautier ? Est-ce que Gautier a le rôle moteur dans la découverte qu’elle décrit ?
1) Le Docteur Lejeune n’était pas un stagiaire de recherche en 1958, contrairement à l’affirmation de Marthe Gautier, mais chargé de recherche (au CNRS), ce qui signifie dans la hiérarchie universitaire française, deux grades supérieurs et les responsabilités qui y sont attachées.
Lorsque Gautier entre dans l’équipe, Lejeune a déjà une place importante dans l’équipe du Pr Turpin qu’il gardera tout au long de la période de la découverte. Celui-ci l’envoie à l’Onu dès 1957 et aux EU en 1958 pour « défendre la position de la génétique française » au prestigieux congrès scientifique de Montréal, il lui confie la rédaction d’articles et surtout la rédaction du livre sur les chromosomes, et enfin il le soutient dans le projet de création de l’Institut de Progénèse… Melle Gautier n’est citée dans aucun de ces ‘dossiers’ (tandis que Melle Rethoré, autre membre de l’équipe l’est, ce qui nous incite à penser que Turpin aurait également cité Marthe Gautier si elle avait collaboré).
2) Lejeune a le rôle moteur de l’équipe. Pour preuve : lorsqu’il est en voyage, Gautier elle-même avoue que le travail n’avance pas. Les notes du laboratoire, celles de Lejeune dans son journal et les multiples correspondances de l’équipe et celles privée pointent vers Lejeune comme le personnage central vers qui convergent les rapports et de qui partent les hypothèses de recherche.
A l’inverse, une multitude de courriers font comprendre que Marthe Gautier n’est pas le personnage central qu’elle déclare être et Jérôme Lejeune n’est pas ce jeune « stagiaire » « nouveau venu au laboratoire » qu’elle décrit. Bien qu’ayant initié une culture de cellules cardiaques en juin 57, Melle Gautier est une personne peu présente : « Je n’ai pas vu Mademoiselle Gautier (assistante à Bicêtre) car elle ne doit venir que l’après-midi. »
Références :
– synthèse datée des titres et des postes de recherche de J. Lejeune dans une publication officielle : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/14152627809/
– correspondance de R. Turpin à Lejeune du 29/6/57, 5/9/1958, 12/10/1958, 20/10/1958 etc.
– correspondance de J. Lejeune avec sa femme et son journal personnel, notamment du 16/1/1959 :
https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15351221892/
F – Est-ce que Lejeune est ce personnage à la carrière « jusque-là peu brillante » et opportuniste que Marthe Gautier décrit ? Est-ce qu’il a publié « en toute hâte » le premier article sur la découverte pour doubler les autres équipes de recherche internationale ?
1) L’intérêt et l’expertise de Lejeune, en particulier pour la génétique, contestés par Gautier, sont prouvés très tôt et ne seront jamais démentis. Ceci rejette au loin les accusations d’opportunisme.
Au début 1958, Lejeune avait déjà co-écrit 7 publications scientifiques spécifiquement sur le «mongolisme», à l’inverse de Marthe Gautier, qui, elle n’a rien publié sur le sujet.
Lejeune rappelle souvent dans son journal personnel que son but n’est pas la découverte ou les honneurs scientifiques, mais d’aider ses patients. Dans ses notes du 16 janvier 1959, juste avant la publication du premier article, il le dit bien : « Ce n’est pas tout de leur découvrir un chromosome aberrant, il faudrait aussi savoir ce qu’ « il » fait ! (…) Rendre un mongolien capable d’être nommé Professeur à la Faculté de Médecine de Paris ! Voilà le rêve de mon existence. ».
2) Lejeune est convaincu très tôt de la découverte mais reste prudent et applique scrupuleusement une démarche scientifique. Il veut avoir au moins trois cas évidents d’observations de 47 chromosomes avant de publier, ce qu’il obtient début janvier 1959 comme son journal en témoigne. Il doit aussi convaincre le professeur Turpin, resté dubitatif même après la première publication.
Références :
– titres et travaux scientifiques de Jérôme Lejeune, 1972, l’Expansion Française
– journal personnel de Lejeune le 16 janvier 1959 et le 7 mars 1959 : https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/15351221892/
G – Lejeune s’est-il attribué la découverte ? A-t-il reçu tous les honneurs par la suite pour son rôle dans cette découverte, et notamment le prix Kennedy sans en partager la récompense?
1) Jérôme Lejeune, comme le montre son journal et ses déclarations publiques, ne s’est jamais attribué la découverte lui-même. On la lui a attribuée de fait. C’est le Pr Turpin qui a reconnu Jérôme Lejeune comme le découvreur en lui demandant de signer en premier l’article princeps. Mais celui-ci ne manque pas une occasion de remercier ou d’honorer ses collaborateurs. Dans une lettre du 5 novembre 1958, il remercie Marthe Gautier pour ses « excellentes préparations » alors que Turpin le félicite lui (lettre de Turpin à Lejeune datée du 27/10/1958). Lors de sa leçon inaugurale à la première chaire de génétique fondamentale de l’Académie de Médecine de Paris en 1965, il cite et honore longuement chacun des membres de l’équipe. Il salue sa «chère Marthe Gautier» et reconnait sa contribution unique à la découverte, citant son «habileté» et sa «ténacité» pendant «deux années d’échecs et de demi-succès».
2) En 1962, Lejeune reçoit le prix Kennedy pour l’ensemble de ses travaux et pas uniquement pour son rôle dans la découverte. Cette remise intervient suite à la suite d’une enquête que l’équipe de la Fondation Kennedy en visite à Paris a réalisée auprès de ses collègues, Gautier y compris, en son absence puisqu’il était à l’étranger. La lettre de la Fondation Kennedy annonce que Lejeune reçu 8,333 Dollars (environ 6000 €) pour son usage personnel et 25,000 Dollars (environ 18 300€) comme «subvention exclusive d’un programme de recherche».
Références :
– lettre de Lejeune à Gautier du 5/11/1958 montrée dans l’article de Marthe Gautier : http://www.medecinesciences.org/articles/medsci/full_html/2009/04/medsci2009253p311/F2.html
– extrait de la leçon inaugurale de J. Lejeune le 10 mars 1965 saluant Marthe Gautier: https://www.flickr.com/photos/125139824@N04/14335819821/
– transcription de la lettre annonçant la remise du Prix Kennedy à Lejeune datée du 4/12/1962
H – Pourquoi cette polémique arrive-t-elle maintenant ?
1) En 2009, à l’occasion du 50ème anniversaire de la découverte, Marthe Gautier émet des accusations pour la première fois dans un article de Médecine/Sciences. Elle dit bien avoir été « encouragée » par des amies, notamment le Professeur Simone Gilgenkrantz.
2) On sait que Simone Gilgenkrantz a été parmi les premières à s’opposer à Jérôme Lejeune qui refusait le diagnostic prénatal conduisant à l’élimination des enfants porteurs de trisomie 21. Simone Gilgenkrantz écrit dans l’un de ses ouvrages que la génétique française a raté le Prix Nobel à cause des positions de Jérôme Lejeune.
On est donc en droit de se demander si des motivations non scientifiques, mais d’ordre politique ne sont pas venues provoquer – et biaiser – les accusations de Marthe Gautier et sa relecture de l’histoire. Et ce malgré les évidences.
Références :
– interview de Gautier dans laquelle elle remercie ses amis de l’avoir encouragée : http://www.newengelpublishing.com/randy-engel-interview-with-marthe-gautier-french-translation/
I. Résumé – Principaux points de la controverse
III. Réponse de la Fondation à l’avis du comité d’éthique de l’INSERM (Septembre 2014)
IV. Focus : la technique ne fait pas la découverte
V. Mythes et réalités : la véritable chronologie