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Questions / Réponses sur la découverte de la trisomie 21

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14 Juin 2021 Questions / Réponses sur la découverte de la trisomie 21

Il se peut que vous croisiez des contenus médiatiques qui font état d’une “controverse” sur la découverte de la trisomie 21. Il n’y a en réalité pas de controverse, mais une relecture des faits historiques qui vise à conforter une vision idéologique de l’histoire, aux termes de laquelle les hommes auraient invisibilisé les femmes.

Voici des éléments de réponse précis et factuels que nous pouvons apporter sur le sujet de la découverte :

C’est bien Jérôme Lejeune qui a été l’âme de la découverte de la trisomie 21 : c’est lui qui a fourni le travail de recherche, l’analyse et qui a eu l’intuition. Marthe Gautier a, elle, apporté des Etats-Unis la technique de culture des tissus, technique que Lejeune et elle ont ensuite améliorée pendant 2 ans, et qui a permis à Lejeune de réaliser les observations qu’il espérait pour confirmer ses hypothèses. Lejeune a publié 24 articles sur le sujet entre 1952 et 1957 (donc avant la découverte de 58), Gautier aucun, car elle était cardiologue et ne s’intéressait pas au mongolisme. 

Les affirmations de Gautier (qu’elle ne diffuse qu’après la mort de Turpin et Lejeune, et 50 ans après la découverte) sont contradictoires entre elles et avec les preuves. Sans tout reprendre ici, nous rappelons quelques  faits :

– Gautier dit que Lejeune annonce sa découverte à un congrès de génétique au Canada, or la conférence de Lejeune au Xème congrès international de génétique de Montréal était : « Sur les variations de la masculinité dans la descendance de parents irradiés. » Car Lejeune est expert français près le Comité Scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations atomiques (Section Génétique), depuis 1957. Il n’est donc pas question dans ce congrès de mongolisme. Par contre, c’est au cours du Séminaire de génétique qui suit, à la Mc Gill University, que Lejeune discute de l’effet observé sur ce caryotype d’enfant mongolien. Il n’annonce aucune découverte mais discute, en privé, avec d’autres experts de l’hypothèse d’un chromosome surnuméraire ou d’une rupture préférentielle au niveau d’un point “faible”[1]. Avec beaucoup de prudence car il ne sait pas encore s’il ne s’agit pas d’une erreur (un chromosome cassé en 2, etc.) et il sait qu’il faut d’autres observations pour confirmer ou infirmer cette première observation. Ce à quoi il va s’atteler dès son retour à Paris, en novembre 1958. Pendant ces trois mois d’absence Marthe Gautier, elle, ne trouve aucun autre caryotype à 47 chromosomes, ne fait aucune autre photo, ne publie rien sur le sujet… A peine revenu Lejeune trouve deux nouveaux cas, rédige la publication, la propose à Turpin, qui la présente à l’Académie des Sciences en janvier 1959…

Gautier dit que Lejeune ne savait rien faire, qu’il n’était qu’un jeune stagiaire CNRS. Or Lejeune est chargé de recherche CNRS (mais non pas patron de l’équipe, c’était Turpin), déjà expert auprès de l’ONU, et identifié dès 1958 par les américains comme le jeune généticien français le plus prometteur (comme l’explique le Dr Kurt Hirschhorn), toujours avant la découverte de la trisomie 21. A l’été 1958, il part pour un congrès de génétique au Canada puis il part en Californie où il est invité à donner six semaines de cours de génétique à l’équipe du Pr Beadle (Prix Nobel). Talentueux le stagiaire… Et pendant ses 3 mois d’absence Gautier ne publie rien sur le mongolisme et ne trouve aucun autre caryotype à 47 chromosomes, mais dès son retour, Lejeune trouve 2 nouveaux cas… Ce qui permet de publier.

– Gautier sous-entend que sans la photo des 47 chromosomes (que Lejeune aurait laissée à Turpin), elle ne pouvait pas publier. Mais la publication ne comporte aucune photo. La photo était utile pour voir le 47eme chromosome, mais pas pour publier car elle n’est pas dans la publication. Si Gautier avait été sûre d’avoir vu 47 chromosomes et si elle avait su analyser cette observation, elle aurait pu publier sans avoir avec elle la photo.

– Pourquoi Gautier ne publie-t-elle pas pendant son absence si c’est elle qui fait tout le travail d’enquête et d’analyse et si Lejeune n’est qu’un stagiaire inutile ? Il lui suffisait de rédiger la publication et la présenter au patron Turpin. Elle avait 3 mois d’absence de Lejeune pour le faire. Y compris pour faire de nouvelles photos.

– Le fait que Marthe Gautier prétende que la photo du caryotype fut la révélation immédiate d’une découverte dont Lejeune s’empare, prouve son manque de compétence sur le sujet : une seule observation ne suffisait pas pour publier, il fallait d’autres cas de confirmation. Il a fallu en effet deux photos supplémentaires, faites par Lejeune à son retour des Etats-Unis, pour confirmer la première observation et envisager une publication en janvier 1959.  Puis ce fut une longue maturation teintée d’hésitation, qui attendra encore 9 cas supplémentaires, pour que Lejeune soit absolument sûr de pouvoir relier le mongolisme à ce chromosome surnuméraire et propose à Turpin une seconde publication en mars 1959. L’observation est devenue une découverte parce qu’elle a été étudiée, confirmée, analysée, intégrée dans une réflexion complète sur les maladies génétiques et cette réflexion était le travail de Jérôme Lejeune.

Il y a tant de contradictions dans les propos de Gautier que sa version ne résiste pas à l’analyse des faits historiques. Par ailleurs, elle n’apporte aucun élément de preuve (et pour cause) et n’a aucun témoin direct qui confirme sa thèse : il faudrait donc se fier à ses seules allégations, contre la parole de Lejeune, les documents écrits, les témoignages et la reconnaissance immédiate par les collaborateurs de Lejeune et la communauté internationale (y compris la Fondation Kennedy qui envoie des enquêteurs dans le laboratoire, en l’absence de Lejeune, pour déterminer le responsable de la découverte, et qui, ensuite, récompense Lejeune.) 

De fait, quand on lit les documents de l’époque : Carnet d’analyse tenu par Lejeune, JournalIntime, courriers avec l’équipe, etc… : il n’y a vraiment aucun doute, c’est bien Lejeune qui analyse, hypothèse, vérifie, compte les chromosomes, rédige et relance Turpin pour qu’il accepte la publication d’une observation tellement originale qu’il craint de paraître ridicule. La communauté scientifique internationale a reconnu immédiatement Lejeune comme le principal acteur de cette découverte et cette paternité n’a jamais été contestée y compris quand, à partir de 1975-80, Lejeune a été violemment attaqué par la communauté scientifique et médiatique en raison de son engagement en faveur de la vie. Marthe Gautier a attendu la mort des protagonistes, Lejeune et Turpin, pour les accuser.

Ceci dit, il y a bien eu un travail d’équipe, avec des contributions diverses, ce que reflète l’ordre des signatures de la publication : Lejeune étant l’acteur principal de cette découverte, signe en premier, Gautier, qui a fait les travaux expérimentaux, signe en second, ce qui est la place habituelle des collaborateurs techniques d’une découverte, enfin Turpin signe en dernière position, la place habituelle du patron de l’équipe. L’ordre des signatures reflète bien le travail : Lejeune (qui a l’intuition et mène la recherche), Gautier (collaboration très utile), Turpin (le patron).  Gautier réagit à cette seconde place comme si elle avait été exclue de la signature et comme si cette place masquait au monde sa valeur. Mais cette seconde place dit sa valeur, celle de l’apport technique, très importante, mais qui n’est pas celle du principal découvreur. Lejeune fera ensuite d’autres découvertes chromosomiques (Maladie du cri du chat, type et contre type, etc.) mais Gautier aucune. Gautier signe seule une publication sur la technique de culture cellulaire, en 1958, à laquelle Lejeune n’est pas associé, bien qu’ils aient travaillé ensemble à l’amélioration de la technique pendant 18 mois.

Il n’y a donc aucune usurpation sur la ‘paternité’ de la découverte puisque les trois personnes qui ont participé à la découverte, (Lejeune, Gautier, Turpin), signent la publication de janvier 1959, selon leur apport et leur compétence propre.


Tous ces éléments permettent de répondre à la triple question :

a/ Lejeune a-t-il été malhonnête en s’attribuant ‘la découverte de Gautier’ ?

La réponse est un double non. Car d’une part ce n’est pas Gautier qui a fait la découverte et d’autre part Lejeune ne s’est jamais accaparé la découverte.

b/ Lejeune a-t-il été malhonnête en s’attribuant une découverte faite à trois ?

La réponse est non. Car, si le mérite de la découverte revient à  Lejeune qui en a été l’acteur principal, lui-même a toujours parlé de ‘notre découverte’ et remercié publiquement Gautier et Turpin pour leur apport. Tous les documents publiés par Jérôme Lejeune, et toutes ses interventions orales, font état d’une co-découverte et citent la part qu’y ont prise Raymond Turpin et Marthe Gautier. A la différence de Marthe Gautier, il ne se présente pas comme le seul découvreur. On ne peut donc pas l’accuser d’usurpation. (Cf. Thèse ès Sciences naturelles, Titres et Travaux, Leçon inaugurale, etc.). Il semble au contraire que Jérôme Lejeune ait fait preuve de générosité en associant avec autant de constance Gautier et Turpin au succès de cette découverte. Finalement, le seul qui remercie tout le monde et ne dit pas “j’ai découvert” mais “nous avons découvert” : c’est Lejeune.

c/ Lejeune a-t-il été malhonnête en ne démentant pas ceux qui lui ont attribué la paternité de la découverte ?

La réponse est non. Comment aurait-il pu démentir ce qui était vrai ? C’eût été mentir. Lui-même ne le disait pas publiquement et associait toujours, avec constance, délicatesse et générosité, les deux autres signataires, mais il ne pouvait contredire ceux qui reconnaissaient son mérite.

Il faut donc reconnaître que non seulement Jérôme Lejeune ne fut pas malhonnête mais il fut particulièrement généreux en restant discret sur son mérite.


Nota bene :

Prétendre que toute la carrière de Lejeune s’est construite sur la découverte de la trisomie 21, c’est oublier la qualité de l’ensemble de son œuvre et figer l’histoire. Si la découverte de la trisomie 21 l’a incontestablement propulsé au plus haut niveau, à 33 ans, son talent ne se limite pas à cela :

  • avant la découverte de la trisomie 21, comme nous l’avons déjà exposé, il était déjà brillant et reconnu à l’international au point que les jeunes généticiens américains qui faisaient le tour d’Europe des meilleurs chercheurs venaient rencontrer Lejeune à Paris. Et non Marthe Gautier., qui avait pourtant passé une année dans un laboratoire aux Etats-Unis…
  • après la découverte de la trisomie 21, Jérôme Lejeune et son équipe à l’Hôpital Necker-Enfants-Malades à Paris, fait d’autres découvertes : un premier cas de translocation[2], une nouvelle translocation des chromosomes 13 et 15, une aberration chromosomique entre jumeaux homozygotes et une nouvelle variété d’hermaphrodisme. Puis, en 1963, ses efforts sont couronnés par une importante découverte : avec ses collaborateurs, Jérôme identifie une nouvelle maladie, due à la délétion[3] du bras court du chromosome 5[4] la Maladie du Cri du chat (à laquelle il refuse de donner son nom). L’université fonde pour l’en nommer professeur, la première chaire de génétique fondamentale en France, puis le nomme doyen de la faculté de médecine des Cordeliers à Paris (Paris Descartes), où il crée le 1er certificat de cytogénétique en France et celui de génétique générale. Il devient, entre autres, expert en Génétique humaine à l’OMS dès 1962, membre du Conseil Scientifique de la Fondation pour la recherche médicale Française en 1965, membre du Conseil scientifique de l’Institut Pasteur en 1967, membre du Conseil scientifique de l’INSERM en 1969. Il est aussi membre du Comité scientifique de la Fondation Rose-Fitzgerald- Kennedy à New York, membre du Conseil scientifique de l’Institute of Bioethics Georges Town University, à Washington, expert étranger près le National Institute of Health à Bethesda. Il est nommé membre de dizaines d’Académies scientifiques dans le monde et reçoit de nombreux prix, dont le fameux Allen memorial Award, à Los Angeles en 1969, pour ses travaux en génétique et sur le cancer, jusqu’au soir de sa vie. Le Prix Griffuel lui étant remis en 1993 pour la qualité de ses travaux sur le cancer …

– Membre de la Royal Society of Medicine (London) (1964)

– Membre ue l’American Academy of Arts and Sciences (Boston) (1968)

– Membre de l’Académie Pontificale des Sciences (Rome) (1974)

– Membre de l’Académie Royale des Sciences de Suède (Stockholm) (1978)

– Membre de l’Académie Nationale de Médecine (Buenos Aires) (1981)

– Membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques (Paris) (1981)

– Membre de l’Accademia Nazionale dei Lincei (Rome)(1982)

– Membre de l’Académie Nationale de Médecine (Paris) (1983)

– Membre de l’Académie de Cordoba (1986)

– Médaille de l’Université de Liège (1957)

– Prix Jean Toy; Académie des Sciences de Paris

– Médaille d’Argent de la Recherche Scientifique (1961).

– Prix Essec (Paris) (1961)

– Prix Kennedy (Washington) (1962)

– Prix Cognacq-Jay, académie des Sciences de Paris (1963)

– Diplôme Znanie (Moscou) (1968)

– The William Allen Memorial Award (San Francisco) (1969)

– Grand Prix Scientifique de la Ville de Paris (1971)

– Prix Antonio Feltrinel1i, Accademia Nazionale dei lincei (Rome) (1984)

– Prix A.R.C. Reno (USA) (1985)

– Docteur Honoris Causa de l’Université de Dusseldorf (1973)

– Docteur Honoris Causa de l’Université de Navarre (1974)

– Docteur Honoris Causa de l’Université de Buenos Aires (1981)

– Docteur Honoris Causa de l’Université de Puebla (1986)

– Professeur Honoraire de l’Université de Santiago du Chili (1981)

– Officier de l’Ordre National du Mérite (1964)

– Chevalier des Palmes Académiques (1976)

– Docteur Honoris Causa de l’Université Pontificale du Chili (1991)

–  Prix du Cancer Leopold Griffuel (1993)

– 1er Président de l’Académie pontificale pour la Vie (1994) …

La découverte des causes de la trisomie 21 n’est pour Jérôme Lejeune qu’une étape dans la bataille contre la maladie. Elle avait d’intérêt à ses yeux parce qu’elle ouvrait la voie à la recherche d’un traitement pour guérir les personnes souffrant d’une aberration chromosomique, spécialement les personnes porteuses de trisomie 21, qu’il recevait en consultation chaque jour (il a suivi 9000 patients et 30 000 dossiers). Le Pr Lejeune leur a dédié toute sa vie. La Fondation qui porte son nom et continue son œuvre a créé à sa suite, la plus importante consultation spécialisée au monde pour les personnes porteuses d’un handicap mental (10 000 patients/an) et poursuit la recherche internationale sur ces maladies. Voilà l’héritage du Pr Lejeune. On juge un arbre à ses fruits…


[1] J. LEJEUNE, Titres et Travaux, L’Expansion scientifique française, 1972, p.29.

[2] Une translocation est une anomalie génétique, due à un échange de fragments entre deux chromosomes qui n’appartiennent pas à la même paire.

[3] Une délétion est une modification génétique caractérisée par la perte d’un fragment de chromosome. La délétion décrite ici est donc une perte d’un morceau du chromosome 5, dans son bras (son segment) le plus court.

[4] Délétion partielle du bras court du chromosome 5. Individualisation d’un nouvel état morbide. Lejeune J., Lafourcade J., Grouchy J. de, Berger R., Gautier M., Salmon Ch., Turpin R. Semaine des Hôpitaux de Paris 40 ; 1069‑1079 ; 1964.

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