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Sous le transhumanisme, l’eugénisme

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15 Juin 2017 Sous le transhumanisme, l’eugénisme

 

Dans le magazine Causeur, Jean-Marie Le Méné , président de la fondation Jérôme Lejeune, s’inquiète de la généralisation des tests de détection prénataux. Il y voit le risque d’une élimination totale des embryons d’humains considérés comme « diminués » notamment ceux des trisomiques.


Causeur. Vous annoncez que les trisomiques seront « les premières victimes du transhumanisme » à cause des progrès de l’eugénisme. En réalité, ils pourraient aussi être les premiers bénéficiaires des avancées dans le domaine des sciences du cerveau…


Jean-Marie Le Méné. Ils profiteraient alors des progrès de la médecine et de la science, pas du transhumanisme qui suppose un refus de la Nature. Le trans- humanisme a commencé avec la procréation médicalement assistée (PMA), qui passe par le tri des embryons et le fait de décréter qu’untel a le droit de vivre aux dépens d’un autre. À la fondation Lejeune, nous développons la recherche, notamment sur le plan cognitif, pour essayer d’améliorer les aptitudes intellectuelles des personnes trisomiques. Mais il s’agit de leur rendre ce dont la Nature les a privés en raison de ce désordre accidentel qui s’appelle la trisomie 21, et non de les « augmenter ».


Sans parler d’humain « augmenté », un nouveau test américain permet de détecter le chromosome de la trisomie 21 dans le sang de la mère. En quoi cela vous gêne-t-il ?

Je ne suis pas opposé au diagnostic anténatal en soi. Ce qui m’inquiète, c’est la systématisation du diagnostic quasi imposé à toutes les femmes enceintes, quel que soit leur âge. Résultat : 97 % des enfants trisomiques diagnostiqués sont éliminés par l’avortement, et leur nombre à la naissance a été divisé par quatre ! « Qui pourra sérieusement s’opposer au génocide des trisomiques ? » écrit Luc Ferry.


On comprend mal pourquoi cette innovation vous inquiète davantage que l’amniocentèse, laquelle provoque 1 % de fausses couches…

Sur le plan moral, il y a certes assez peu de différence entre ces deux méthodes. Mais ce test est beaucoup plus efficace car il permet de repérer directement dans le sang de la mère enceinte des traces du génome de l’enfant qu’elle porte : quand on détecte 47 chromosomes, on comprend qu’il est trisomique. De ce fait, on peut détecter (et donc éliminer !) plus tôt l’enfant détecté. Le jour où l’assurance maladie proposera ce test en France, en plus d’ouvrir un marché d’un milliard d’euros, cela renforcera l’eugénisme. Bientôt, cela pourra se faire avec d’autres maladies ou prédispositions. C’est pour cela que les humains « diminués » sont les premières victimes du transhumanisme.


Mais on ne peut pas obliger les parents à garder des enfants handicapés ! On dirait que vous sous-estimez la demande sociale d’« enfants sains »…


C’est largement l’offre technique qui détermine la demande. La loi oblige les médecins à proposer à toutes les femmes enceintes de pratiquer un diagnostic anténatal de la trisomie 21. Du même coup, les spécialistes préemptent à la fois la capacité de compréhension de la femme (« Vous ne pouvez pas comprendre ! ») et son instinct maternel (« Vous ne pouvez pas l’aimer ! »). Mettons donc un terme à ce dépistage systématique injustifié et ruineux : la trisomie ne concerne qu’une conception sur 750 et inquiète inutilement 98 % des femmes !


Pour un opposant à l’avortement comme vous l’êtes, le droit à l’IVG est-il déjà une forme d’eugénisme ?


Non. L’eugénisme ne concerne que l’interruption médicale de grossesse (IMG) qui vise des populations ciblées. L’IVG est entre les mains de la femme, lui permettant de faire ce qu’elle veut sans rendre de comptes à personne, l’IMG reste du ressort du monde médical. Si, à l’échographie, on signale une imperfection et que la femme entend avorter sous un prétexte futile, certains médecins refusent de délivrer l’autorisation de l’IMG. Mais celle d’avorter les enfants trisomiques est toujours accordée. Il y a un marché.


Vous oubliez que les associations de familles trisomiques sont aussi favorables à la généralisation du dépistage. Or, dans votre livre, vous évacuez cet argument en les disant victimes du syndrome de Stockholm !

Cette dérive concerne notamment l’association des familles d’handicapés mentaux, que je respecte par ailleurs, l’Unapei. Au sein de leur comité d’éthique, ses membres ont nommé Israël Nisand, qui vante ouvertement le nouveau test de dépistage anténatal. C’est quand même un peu surprenant ! Je ne pense pas que ce soit l’avis des familles d’enfants handicapés très choquées par les propos que le Pr Jean- Didier Vincent avait tenus à la radio face à moi, hurlant que « les trisomiques étaient un poison »… Que les malades soient désormais considérés eux-mêmes comme des maladies est très révélateur d’une évolution. Or, quand la nature condamne, le rôle de la médecine n’est pas d’exécuter la sentence mais d’essayer de « commuer la peine », selon l’expression de Jérôme Lejeune.


Les gens rechigneront peut-être moins à accepter un enfant trisomique le jour où existeront des solutions d’accompagnement tout au long de la vie du handicapé…

C’est d’autant plus vrai que la durée de vie des trisomiques s’est aussi allongée. Ils peuvent vivre maintenant jusqu’à 70 ans ou plus. Ce qui pose de nouveaux problèmes, parce que les parents ne veulent pas imposer cette charge à la fratrie. Dans nos consultations, on a affaire à la première génération d’enfants handicapés qui survivra à ses parents. Mais l’État ne peut pas financer à la fois leur élimination et leur prise en charge !


À la fondation Jérôme Lejeune, avez-vous des espoirs de traitement efficace de la trisomie ?

La science fait feu de tout bois. Bientôt, on pourra prélever des cellules d’enfants trisomiques, les transformer en cellules souches, retirer le chromosome 21 et les faire se reproduire sans l’anomalie responsable du handicap. Pour l’instant, cette opération s’effectue in vitro, mais à l’avenir il sera sans doute possible de greffer ces cellules saines dans certaines parties du cerveau. Depuis vingt ans, notre fondation a réintéressé les chercheurs à la question en ouvrant des perspectives thérapeutiques.


Lesquelles ?

Des synergies se créent. De grands laboratoires travaillent par exemple sur la maladie d’Alzheimer, un syndrome que développent beaucoup de personnes trisomiques vers l’âge de 30 ans. Rien ne serait plus désespérant que de renoncer à la recherche sur une maladie au prétexte qu’on aurait bientôt éliminé tous les malades !


Cet entretien fait partie d’un dossier sur le transhumanisme que vous pouvez retrouver dans le
numéro de Juin 2017 du magazine Causeur.

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