L’allure est décidée, le timbre étonnamment rauque, calme et posé. Paul semble méditer, il jette un œil sur le ciel des Invalides et pénètre dans la brasserie où l’attend son parrain.
« Bonjour, je voudrais un café s’il vous plait ». Accompagné d’Anita, sa mère, Paul sourit et se pavanne face au serveur déjà séduit : « mais non, je ne suis pas trisomique ! ». Il s’empresse d’ajouter « ha si ! Si on me demande des calculs en maths, oui c’est vrai, je suis trisomique ! ».
Ce qui frappe le plus chez lui, c’est finalement son regard. Il vous capte rapidement, vous traverse et impose sa bienveillance. L’écrivain et poète Christian Bobin n’y est d’ailleurs pas indifférent puisqu’il écrivait récemment à Anita « le regard de votre fils est puissant (…) infiniment éclairant ».
Du coin de la terrasse, son parrain l’observe avec affection. Il connait mille anecdotes à propos de son cher filleul. De sa voix douce et célèbre, le vieil homme édifié concède « Paul est un trésor au grand cœur ». D’ailleurs, le sdf de la rue voisine n’en revient toujours pas. Il y a 10 jours, le malheureux faisait la manche quand Paul s’est arrêté. Il a fouillé dans sa poche, s’est incliné quasi religieusement et s’est avancé pour lui tendre à deux mains son aumône. Une scène incroyablement théâtrale et spontanée qui touche d’autant plus le parrain de Paul puisqu’il s’agit de l’acteur mythique Michael Lonsdale.
Les deux hommes sont très liés et se voient régulièrement. Ce 21 mars 2017, ils se sont rendus au Parlement européen de Bruxelles pour défendre les droits des personnes trisomiques à l’occasion de la journée internationale qui leur était consacrée. Cela tombait sous le sens.
Anita commande un chocolat et commence à parler des plus jeunes années de Paul. L’intéressé lui coupe la parole et s’exclame « Jérôme Lejeune, c’est mon médecin ! ». Elle reprend non sans émotion « un jour, le Professeur Lejeune a pris Paul sur ses genoux. Ils se sont intensément observés et il m’a dit « avec ce regard madame, vous n’avez pas à vous inquiéter » ».
Elle savoure encore cet épisode qui, dans sa mémoire, contraste si sévèrement avec le médecin qui l’avait accueillie sans jeter le moindre regard sur Paul âgé de quelques heures. Apprenant qu’elle était, elle aussi médecin, l’homme n’avait pas affiché grande honte en s’étonnant que cette grossesse ait été menée à terme…
Aujourd’hui, Paul et Anita sont heureux. Leur vie a bien sûr été parcellée de clairs obscurs depuis cette naissance. Le poids de la bêtise du regard des autres, l’humiliation et les colères intérieures qu’elle suscite n’ont pas obscurci le mystère de la joie dans la souffrance. La vie de Paul est aussi l’histoire d’une mère guidée par l’amour naturel de son fils et le réconfort de sa présence aimante.
Anita signe aujourd’hui un mémoire de philosophie pratique titré « Trisomie 21, un malheur heureux ?». Ce point d’interrogation ne semble cependant pas nécessaire puisque l’auteur mentionne « en aidant un homme à escalader une montagne, on parvient au sommet avec lui, grâce à lui ».
Paul est le cinquième enfant de la fratrie. Il va quitter l’ESAT qui l’emploie. Après un tour du monde qui l’a conduit des USA au Vietnam, en passant par le Maroc et l’Angleterre, il vient de rentrer du mariage de l’une de ses sœurs. C’est désormais à son tour de se donner. Au mois de juin prochain, Paul partira à Lourdes pour intégrer la Fraternité Sainte Bernadette aux côtés de 7 autres jeunes hommes trisomiques pour partager une vie de service en communauté.