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Tribune : « C’est de ta peur dont j’ai peur »*

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08 Fév 2011 Tribune : « C’est de ta peur dont j’ai peur »*

Nous, parents de jeunes et d’adultes atteints de trisomie 21, nous battons, depuis leur naissance, pour que nos enfants soient éduqués, respectés, et impliqués dans la société. C’est pour cela que nous avons créé ou pris la responsabilité d’associations qui les représentent et les défendent

Le poids du regard

Nous, parents de jeunes et d’adultes atteints de trisomie 21, nous battons, depuis leur naissance, pour que nos enfants soient éduqués, respectés, et impliqués dans la société. C’est pour cela que nous avons créé ou pris la responsabilité d’associations qui les représentent et les défendent.

Comme pour tout citoyen, les droits fondamentaux de ceux qui souffrent de trisomie 21 doivent être respectés. Nous apprécions les efforts qui ont été faits dans ce sens, notamment depuis la loi pour l’égalité des droits et des chances de 2005. Mais ils ne suffisent pas : aujourd’hui encore, et peut-être plus qu’hier, les personnes trisomiques souffrent du regard ambivalent que nos contemporains posent sur elles.

Il leur faut accepter leur handicap, et nous faisons tout pour cela, avec l’aide de leurs médecins, de leurs éducateurs et accompagnateurs spécialisés. Mais, nous souffrons, pour eux et avec eux, de constater combien leur bonheur de vivre est affecté par les préjugés dont ils font l’objet. Ils nous disent, clairement, que le plus dur pour eux n’est pas leur maladie, mais le rejet dont ils pâtissent, ouvertement ou subrepticement.

Nous rejetons toute tentative de réduire les personnes fragiles à leur fragilité. Leur handicap nous renvoie à notre capacité à atteindre l’autre au-delà de son apparence, de ses qualités, de sa grâce ou de sa disgrâce. Il nous oblige à rejoindre l’autre dans sa vérité.

Une peur entretenue

Récemment le Premier ministre François Fillon, prenant acte que « dans notre pays le handicap est encore trop souvent synonyme de stigmatisation ou d’exclusion », a confié à Monsieur le député J.F Chossy une mission « sur l’évolution des mentalités et le changement du regard de la société sur les personnes handicapées ».

L’exclusion dont sont victimes les personnes atteintes de trisomie 21 passe bien entendu par les immenses difficultés d’accès à l’école et à l’emploi. Mais, bien avant cela, elle se manifeste d’abord par le refus de les accueillir et ce, dès avant la naissance ! Déjà, dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, le Premier ministre dans sa saisine du Conseil d’Etat en 2008 avait osé poser la question de l’eugénisme : « Les dispositions encadrant les activités d’assistance médicale à la procréation et, en particulier, celles de diagnostic prénatal et de diagnostic préimplantatoire, garantissent-elles une application effective du principe prohibant « toute pratique » eugénique tendant à l’organisation et à la sélection des personnes ? »

Les dérives eugéniques dont sont victimes les personnes trisomiques sont un constat alarmant établi par des voix autorisées, comme celle du Conseil d’Etat, de l’ancien ministre de la santé Jean-François Mattéi, de l’ancien président du CCNE, Didier Sicard et de nombreux gynécologues obstétriciens. Nous souhaitons donc une réelle prise de conscience des responsables, condition d’une volonté politique forte, indispensable pour atténuer ces pratiques eugéniques. C’était d’ailleurs un souhait unanime des citoyens dans leurs contributions aux Etats généraux de la bioéthique !

Informer pour rassurer et soulager

Nous attendons du gouvernement et du législateur qu’ils proposent des mesures à la hauteur de la situation. Le Conseil d’Etat** a rappelé que 96 % des enfants trisomiques dépistés avant la naissance sont éliminés. La mère a-t-elle réellement la liberté de garder un enfant dépisté trisomique ? Comment expliquer ce triste record mondial dans un pays où les citoyens sont sensibilisés aux Droits de l’Homme ?

Quand on interroge le public*** la réponse est claire : 85 % des personnes interrogées pensent « que le dépistage de la trisomie 21 incite les parents à ne pas garder un enfant susceptible d’être atteint de cette maladie.»1 Etendre le dépistage, c’est accroître l’incitation à renoncer à l’enfant différent. Il est temps de parler de liberté !

Nous attendons de la révision de la loi de bioéthique qu’elle soit l’occasion d’intégrer une dimension positive au diagnostic prénatal en proposant une information mesurée pour les femmes enceintes, notamment sur la dignité de leur enfant et la prise en charge adaptée dont il pourra bénéficier. L’apport de cette information positive est nécessaire pour lutter contre l’angoisse liée à la méconnaissance du handicap et pour soulager les parents de la pression normative et culpabilisante du dépistage. Le choix collectif ne peut pas rester celui du mutisme. Pourtant, l’actuel projet de loi évoque ces informations positives mais ne les rend pas obligatoires.

Nous souhaitons aussi, à l’occasion de cette prise de parole, exprimer notre soulagement sur la décision du gouvernement de ne pas suivre les avis proposant l’élargissement du diagnostic préimplantatoire (DPI) à la trisomie 21. Cela aurait été une stigmatisation supplémentaire des personnes trisomiques intensifiant leur discrimination.

Les personnes handicapées nous révèlent notre propre façon d’être au monde et pour le monde. D’où l’urgence, pour notre société, de trouver une solution véritablement digne de notre humanité. D’où l’extrême vigilance de milliers de parents sur ces débats autour du projet de loi de bioéthique.

  • Pour le Collectif Les amis d’Eléonore, Emmanuel Laloux, président
  • Pour le Collectif contre l’Handiphobie, Alexandre Varaut, président
  • Pour Down UP, Jean-Paul Wickaert, vice-président
  • Pour Foi et Lumière, Ghislain du Chéné, coordinateur international
  • Pour la Fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné, président
  • Pour Handicap Rêves Défis Jeunesse, François Beiger, directeur
  • Pour Les Amis de La Ruche, Marielle Puvis, présidente
  • Pour L’Office chrétien des Personnes handicapées, Philippe de La Chapelle, directeur
  • Pour Maisons Saint-Joseph, Bertrand de Dieuleveult, directeur
  • Pour Regard sur la trisomie 21, Alexia Lantrès, présidente

http://www.lavie.fr/


*« C’est de ta peur dont j’ai peur » – W. Shakespeare

**Chiffres cités dans le Rapport du Conseil d’Etat La révision des Lois de bioéthique, mai 2009 + Référence scientifique : publication de Boyd PA et al. (2002-2004)
*** « Les Français et la trisomie 21 – 1ere enquête miroir entre le grand public et les personnes trisomiques 21 » – Septembre 2010 – Enquête réalisée pour le Collectif des Amis d’Eléonore par l’agence Règle de trois.

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