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Tribune dans Le Figaro de Jean-Marie Le Méné : L’enfant dans « Le Meilleur des Mondes »

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15 Nov 2013 Tribune dans Le Figaro de Jean-Marie Le Méné : L’enfant dans « Le Meilleur des Mondes »

Le président de la Fondation Jérôme Lejeune revient sur la récente autorisation donnée dans l’État d’Israël de « féconder » une mère porteuse à partir du sperme congelé d’un défunt.

Le procureur général de l’État d’Israël vient d’autoriser des parents à utiliser le sperme congelé de leur fils décédé pour féconder une mère porteuse afin de leur donner un petit enfant. Cette décision récente a soulevé un certain émoi. Elle pose plusieurs questions sur les pratiques des pays développés. Ce type d’autorisation paraît doublement transgressif en France, qui fait encore partie des pays – et il faut s’en réjouir – qui interdisent les inséminations post-mortem ainsi que le recours aux mères porteuses.

Mais, surtout, cette affaire nous présente crûment ce qu’est le « droit a l’enfant ». Une création suivie d’une appropriation de l’enfant qui vise à traiter un problème d’adultes. Il s’oppose manifestement au « droit de l’enfant » à exister pour lui-même.

À l’évidence, la prétention de grands-parents potentiels à fabriquer ce qui peut être perçu comme un « bébé psychotrope » est dépourvue de toute indication médicale et encore moins morale et à jouir de ses deux parents, de préférence vivants. À l’évidence, la prétention de grands-parents potentiels à fabriquer ce qui peut être perçu comme un « bébé psychotrope » est dépourvue de toute indication médicale et encore moins morale.

Une seconde dimension de la question montre que rien ne s’oppose à ce que l’on envisage des manipulations équivalentes pour les gamètes d’une femme décédée. C’est ce qui s’est déjà passé en Israël, où des parents ont été autorisés à prélever les ovules d’une adolescente morte dans un accident de voiture, afin de les faire féconder par un don de sperme. Ce parallélisme égalitaire est inévitable d’autant que les progrès de la congélation par la technique de la vitrification d’ovocytes permettent de ne pas faire éclater cette cellule particulièrement fragile.

Toutefois, nous aurions tort de ne réserver nos critiques qu’aux pays apparemment plus libéraux que le nôtre. La vitrification ovocytaire a été autorisée en France par la loi bioéthique de 2011 comme technique d’assistance médicale à la procréation (AMP). Elle constitue un pas de plus vers l’AMP pour « convenance personnelle » en permettant aux jeunes femmes de congeler leurs gamètes pour prévenir une infertilité éventuelle, envisager un projet parental tardif ou contribuer à créer une banque de dons d’ovules. En 2012, le Pr Rene Frydman ainsi que le CNGOF (college des gynécologues) se sont exprimés en faveur de l’autoconservation des ovocytes pour « convenance personnelle », c’est-à-dire pour des indications plus sociétales que médicales. Il est clair que le projet de conserver in vitro des stocks d’ovules présente des débouches particulièrement lucratifs et une tentation vertigineuse d’industrialiser des tris multicritères sur les embryons produits. Ceci nous amène au dernier aspect de la question qui est plus inquiétant encore. Il renvoie à une réalité déjà inscrite dans nos lois et dans nos mentalités, celle de la sélection.

En effet, qui dit manipulation de gamètes dit tri – inévitable – non seulement des gamètes mais aussi du produit de leur rencontre : l’embryon.

L’acharnement procréatique et l’acharnement sélectif puisent aux mêmes racines. Ce sont les deux faces d’une même médaille frappée au coin de l’eugénisme. Le processus, la procréation, doit être maîtrise et le produit, l’enfant, doit être de qualité. Sait-on seulement que  « l’appariement des couples reproducteurs » que l’on croyait réservé aux espèces animales s’applique désormais aux humains conçus par AMP avec donneurs ? Il s’agit pour les techniciens de la reproduction d’exercer une sélection sur les donneurs de gamètes pour éviter des maladies génétiques. Ici, c’est le technicien qui remplace la nature. Il n’est pas certain qu’il soit plus avisé. Les risques d’arbitraire sont évidemment plus élevés.

Quant à l’embryon produit, soumis aux progrès des différents diagnostics, il est sommé de faire la preuve de sa normalité avant de naître. Déjà des cohortes entières d’êtres humains parfaitement viables sont supprimées avant la naissance au motif que leur génome n’est pas parfait. Quel dieu assoiffé dicte la norme ? Qui s’en inquiète ? On objectera que le Rubicon a déjà été franchi depuis des lustres et qu’il est trop tard pour s’en émouvoir. Telle est l’opinion récente de notre comité d’éthique étatique… Mais il reste tout de même une façon non moralisatrice et politique de reprendre les choses en main. C’est d’avoir le courage d’observer que la compassion fallacieuse qui conduit à instrumentaliser des enfants – soit en les créant, soit en les dé-créant – pour le confort d’adultes en mal de vivre n’entretient aucun rapport avec l’art médical.

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