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Une question de regard

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21 Mar 2023 Une question de regard

Une qualité particulière du regard, c’est bien ce qui caractérise l’engagement de l’équipe soignante de l’Institut Jérôme Lejeune quand elle accueille aussi bien ses patients que leurs parents.

« Quand on m’a annoncé que ma fille avait une trisomie 21, j’ai été prise d’une angoisse sourde avec l’envie de partir loin de tout avec mon bébé, pour ne pas avoir à subir le regard des autres ». Comme Isabelle, combien de parents d’enfants porteurs de trisomie 21, de frères et sœurs, ont eu cette irrépressible envie de fuir ? S’il est vrai qu’un regard peut sauver, d’autres peuvent tellement meurtrir par leur indifférence ou leur violence. Comment ne pas penser à Antoine, 24 ans, qui a une trisomie 21 et qui craint plus que tout, et tant d’autres comme lui, « qu’on se moque », au point d’être parfois si méfiant quand on s’adresse à lui.
« Le regard est un mode de langage », explique le Dr Aimé Ravel, pédiatre qui a été pendant près de 25 ans responsable de la consultation Jérôme Lejeune, « un échange de regards est une longue conversation ». Et à l’Institut Jérôme Lejeune, quand les personnes avec une trisomie 21 et leurs parents ou leurs accompagnateurs poussent la porte, ils sont accueillis, quels qu’ils soient, par un sourire. Ici, avant de s’occuper de patients, l’équipe des soignants et ceux qui les entourent, voient, accueillent un enfant, un adolescent, un adulte. Pas une pathologie. Une prise en compte qui procède avant tout « d’un regard profondément humain », comme l’explique le Pr Hervé Walti, pédiatre et conseiller médical pour le développement à l’international de l’Institut Jérôme Lejeune.

L’héritage de Jérôme Lejeune

Pour avoir été un de ses élèves, le Dr Aimé Ravel a bien connu le Pr Jérôme Lejeune : « Parmi les choses qu’il m’a apprises, il invitait à regarder au-delà du masque de la trisomie, à imaginer l’enfant, la personne que j’avais devant moi sans ce masque » pour «  le soigner, l’écouter comme n’importe quel enfant ». Parce que pour Jérôme Lejeune, « la confiance du patient repose sur l’amour que lui porte le médecin ».

Un jour en consultation, le Dr Ravel reçoit pour la première fois un adolescent de 17 ans ayant une trisomie 21 dont la mère se plaint ; elle ne le comprend plus. Le jeune homme se met à parler et le pédiatre saisit immédiatement qu’il parle en verlan. Quand il s’est su compris, il a sauté dans les bras du médecin. Pour le Dr Ravel, il arrive qu’on ne fasse pas la part entre ce qui relève du médical, de la trisomie 21, du patient lui-même. Il faut avoir aiguiser son regard pour le découvrir.

Dans ce domaine, le Pr Marie-Odile Réthoré, proche collaboratrice et bras droit de Jérôme Lejeune pendant 40 ans, qui a été pendant plus de 60 ans au service de patients porteurs de trisomie 21, avait acquis une qualité exceptionnelle de regard : un patient qui ne la connaissait pas, sortant d’une consultation avec un de ses confrères, pouvait, en la voyant, courir dans ses bras. Elle était partie faire un voyage en Inde. Dans la rue, des personnes avec une trisomie 21 venaient spontanément vers elle. Ils avaient instantanément capté dans son regard que c’était une personne bienveillante. « Nos patients ont un instinct particulier qui leur permet d’évaluer qui ils ont en face d’eux », explique le Dr Ravel.


Cherchant à faire tomber le masque, le pédiatre a poussé loin l’expérience quand il a croisé, à l’occasion d’une consultation, des jumeaux dont l’un était porteur de trisomie 21 et l’autre non. Il s’est demandé s’ils pouvaient être de vrais jumeaux. Les tests, effectués avec l’accord des parents, ont montré que les deux enfants avaient un même patrimoine génétique, le visage de l’un révélait le visage exempt de trisomie de l’autre.

« Dans le regard, il y a de l’autre qui s’incarne »

Le grand psychanalyste français, Jacques Lacan, avait cette expression : « Dans le regard, il y a de l’autre qui s’incarne ». Le regard est le premier contact qu’on établit avec celui qui fait face. Il est le moyen de le rencontrer dans sa vérité, de le connaître, d’apprendre qui il est. Pour le philosophe Emmanuel Levinas, « l’accès au visage est d’emblée éthique » et le regard est comme un « ruissellement de l’infini », un « appel à l’interdit du meurtre », il fait de l’autre un sujet et conduit au dépassement de soi-même.

Pour le bien des patients

À l’Institut Jérôme Lejeune, on prend le temps de ce regard au cours de consultations d’une heure. C’est, grâce à la Fondation Lejeune, une « médecine qui a le luxe de pouvoir prendre son temps », comme l’explique le Pr Hervé Walti, toute orientée « pour le bien de nos patients qui sont parmi les plus vulnérables qu’on puisse trouver ». Si les médecins sont recrutés en fonction de leur expertise en vue d’une « médecine de l’excellence », ils le sont aussi sur le critère de leurs qualités humaines, de leur « amour des gens ». « Quand je vois un patient, mon regard va au-delà de son apparence immédiate », explique le Dr Jeanne Toulas, pédiatre à l’Institut. « Je me souviens de cette jeune fille que j’ai auscultée. Je lui ai dit « tu es belle ». Elle s’est redressée. Elle, comme d’autres, sont sensibles à notre regard, mais aussi aux mots qui l’accompagnent ».


Il est important que ceux qui viennent à l’Institut, parfois de très loin, repartent avec le sourire. Alors que les défis à relever sont difficiles, il faut faire en sorte « que les personnes avec une trisomie 21 sortent de la consultation avec plus de chance d’exprimer tout leur potentiel, que les parents aient plus d’espoir pour mieux faire évoluer leur enfant », souligne le Pr Hervé Walti.

C’est ce regard encore qui conduit la Fondation et l’Institut Jérôme Lejeune à mener et soutenir de nombreux projets de recherche qui mettent la personne porteuse d’une déficience intellectuelle d’origine génétique, que ce soit la trisomie 21 ou tout autre maladie, plutôt que le patient, au centre de leurs préoccupations.

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