Il est 14:00, la salle est pleine. La conférence va commencer. Du monde s’agite encore à l’entrée. Les techniciens s’affairent à leurs caméras et objectifs. Les retardataires arrivent encore. Les speakers rejoignent leur fauteuil. Des Français, Suisses, mais aussi Anglais, Polonais ou Néerlandais s’installent dans les rangs. On aperçoit des enfants porteurs de trisomie 21 dans les bras de leur mère. Le public est inhabituel pour une conférence au sein des Nations-Unies à Genève. Mais la conférence l’est tout autant.
Nous sommes le 20 mars 2017, veille de la Journée mondiale de la trisomie 21. La Fondation Jérôme Lejeune, en partenariat avec l’Ordre de Malte et l’ONG ADF-International, organise sous le label Stop Discriminating Down, une conférence sur l’élimination en masse des enfants trisomiques avant la naissance et l’arrivée d’un nouveau test de dépistage prénatal non-invasif.
L’objectif de cette conférence, Un monde sans trisomiques ?, est de sensibiliser les Nations-Unies sur les atteintes aux droits de l’homme perpétrées dans de nombreux pays occidentaux en raison de dispositifs de santé conduisant à cette élimination en masse. La nouvelle technique, qui permet de dépister très tôt la trisomie 21 des enfants en gestation par une simple prise de sang de la mère, va aggraver encore la situation.
Si ce nouveau test était introduit dans les systèmes de santé, et donc généralisé, comme il l’est déjà dans certains pays, les conséquences sont prévisibles pour les futurs bébés atteints de la trisomie 21. Il s’agirait concrètement de mettre en œuvre un moyen d’éradiquer la population trisomique.
Déjà en Angleterre, 90% des mères mettent fin à leur grossesse suite à un diagnostic positif de trisomie 21. En France ce taux atteint les 96 %, au Danemark 98 %. A brève échéance, la population trisomique de certains pays sera en voie de disparition faute de nouvelles naissances.
La conférence commence. Michel Veuthey, représentant permanent de l’Ordre de Malte auprès des Nations-Unies, prend la parole. Il rappelle l’importance du thème en question et remercie les Nations-Unies d’avoir permis la tenue de l’événement.
Il cède ensuite la parole à Clotilde Noel, mère d’une enfant trisomique adoptée et auteure de 2 livres sur le sujet. Son témoignage sur l’adoption de Marie, porteuse de trisomie 21 et présente dans la salle, est fort. A travers son expérience, elle a découvert que la trisomie 21 n’est pas monstrueuse comme on l’entend si souvent. Seule l’idée que l’on s’en fait peut la rendre ainsi : « Marie nous apprend chaque jour que notre rôle est de l’aimer comme elle est ». S’ouvrant au don de cette nouvelle vie, Clotilde se rend vite compte que l’idée du handicap n’est qu’illusion, à la manière des ombres déformées sur la paroi de notre imagination.
« Bien sûr, ajoute-t-elle, l’arrivée de Marie nous a obligé à remanier notre quotidien. Il a fallu caler les nombreux rendez-vous de spécialistes pour l’aider à grandir. Bien sûr que notre quotidien n’est plus le même mais qui peut prétendre ne pas avoir changé de vie à partir du moment où il choisit de devenir parent ? ».
Elle poursuit, en appelant à la responsabilité de l’Etat face à la trisomie 21 comme face au DPNI : « Nous avons besoin que l’Etat fasse corps avec nous, nous avons besoin que les lois nous protègent. Au contraire, l’Etat devient notre ennemi numéro 1 pour saccager les efforts accumulés depuis de nombreuses années ». Elle s’interroge : comment l’inclusion des enfants trisomiques pourra-t-elle se déployer si à la base, via le dépistage systématique, la presque totalité des enfants porteurs de trisomie 21 disparait ? Comment les soins et la recherche pourront-ils progresser efficacement ?
Elle conclut son discours par un hommage fort à ces enfants qui bien que différents – mais ne sommes-nous tous pas différents les uns les autres ? – nous offrent chaque jour des leçons de vie : « Ces enfants sont la clé qui manque à tous ceux qui réfléchissent trop pour vivre, ou vivent trop pour réfléchir. Ceux qui oublient d’entendre leur cœur battre. Ceux qui ont tout matériellement, mais qui ne sont pas comblés, qui courent toujours pour attraper ce qui leur manque. Avec ces enfants-là, on ne manque de rien. »
Le modérateur d’ADF-International, Rubén Navarro, donne ensuite la parole à Kathleen Humberstone et à sa mère Denise.
Kathleen est porteuse de trisomie 21. Elevée par des parents aimants, elle déborde de projets. Son rêve de faire du mannequinat pourrait se réaliser. Elle projette également de se marier avec son petit ami. Pour elle, comme pour sa mère, l’idée d’un dépistage prénatal est insupportable. « Je défie quiconque faisant actuellement la promotion de ce dépistage de rencontrer des adultes atteints de trisomie 21, comme ma fille Kathleen. Qu’ils osent regarder dans ses yeux et lui dire en face que sa vie est moins précieuse que la leur » a finalement conclu Denise.
Peter Harteveld a ensuite pris la parole. Adulte trisomique de 33 ans, il habite et travaille aux Pays-Bas. Il a souligné combien il se sentait triste lorsqu’il ressentait que sa vie n’aurait pas la même valeur que celle des autres. Mais, ajoute-il, il est heureux de sa vie et d’avoir une vie sociale épanouie.
Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, est, pour sa part, revenu sur les soubassements philosophiques de la dérive eugéniste des enfants à naître atteints de trisomie 21. Il souligne que ces comportements se trouvent validés par le système politique et économique libéral. Ce système « sans référentiel à une norme extérieure et supérieure, s’interdit par principe d’avoir des principes et d’imposer aux individus telle ou telle conception de la vie ». M. Le Méné ajoute que ce système conduit à ce que l’Etat régule tous les comportements, fussent-ils contradictoires, par le droit, faute d’être capable de les résoudre de façon cohérente. On en arrive à une double évolution en sens contraire : après la naissance de l’enfant trisomique, l’inclusion progresse et fait passer la personne avant le handicap ; avant la naissance l’exclusion progresse et fait passer le handicap avant la personne. Il conclut son propos en appelant les démocraties à reconnaitre les « lois non écrites supérieures qui s’imposent à elles », sans quoi le « génocide permanent des enfants trisomiques avant la naissance » perdurera.
La parole est revenue ensuite au Dr Teresa Vargas. qui a souligné la diminution continue depuis 30 ans du nombre de nouveaux-nés trisomiques en Espagne, du fait du développement des dépistages prénataux. Elle a fait part des moyens à disposition des médecins pour annoncer à des parents la future naissance d’un bébé atteint de trisomie 21. Il s’agit notamment de les rassurer sur le handicap de leur enfant de les mettre en contact avec des groupes de soutien. Des solutions alternatives et de prises en charge des jeunes mères et de leur nouveau-né sont possibles et permettrait de réduire le nombre d’avortements.
Alexandra Tompson a conclu la conférence en rappelant les objectifs de la mobilisation Stop Discriminating Down. Elle a rappelé que les enfants porteurs de trisomie possèdent les mêmes droits et ont la même valeur que les autres enfants. Promouvoir le dépistage tout en incitant les femmes à avorter signifie que la vie des enfants trisomiques a moins a une moindre valeur aux yeux de la société. Elle a appelé à ce que les Etats mettent un terme à toute discrimination sur la base des prédispositions génétiques.
Rubén Navarro a ensuite donné la parole à la salle. Une intervention fut particulièrement remarquée, celle de Charlotte Fien. « Ne nous assassinez pas avant la naissance. Les gens comme moi ont le droit de vivre. » Cette adolescente, porteuse de trisomie 21, a délivré un message poignant établissant un parallèle entre la volonté des Nazis d’éradiquer une certaine population avec les tests de dépistages actuels qui auront les mêmes conséquences.
L’auditoire nombreux était attentif à l’ensemble des interventions. Des représentants de missions permanentes d’Etats étaient également là. Ainsi, l’Espagne, la Pologne, le Canada, la Colombie ou encore la Hongrie et le Saint-Siège sont venus écouter attentivement les demandes de ces personnes handicapées, de leurs parents, des familles qui rencontrent rarement le soutien nécessaire de leur Etat.
Cette conférence a permis d’aborder sous l’angle des droits de l’homme les conséquences du dépistage prénatal de la trisomie 21. A travers les témoignages et les expertises, l’auditoire a pu prendre la mesure du danger qu’un tel dispositif généralisé systématisé et développé par un Etat fait peser sur l’avenir des enfants trisomiques en particulier, et sur celui de l’humanité en général.