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Interview de Lynn Nadel, Lauréat du Prix Sisley-Jérôme Lejeune 2013

Recherche scientifique
17 Oct 2013 Interview de Lynn Nadel, Lauréat du Prix Sisley-Jérôme Lejeune 2013

Lynn Nadel l’un des deux lauréats du Prix International Sisley Jérôme Lejeune, répond à nos questions. Découvrez ses travaux sur la trisomie.

lynn nadelFondation Jérôme Lejeune : Pour quelle(s) raison(s) vous êtes vous plongé dans ce domaine de recherche très spécifique et relativement peu connu ? Vous étiez alors un spécialiste de la mémoire, vous aviez d’autres champs de recherche possibles, pourquoi le retard mental d’origine génétique ?

Lynn Nadel : A l’époque, au milieu des années 80, mon bagage de connaissance portait effectivement sur la mémoire et plus précisément sur le rôle de l’hippocampe. C’est dans ce cadre que je me suis mis à lire la littérature naissante sur d’éventuels liens entre l’hippocampe et les déficits cognitifs observés chez les patients atteints de trisomie 21. Il faut comprendre que les mécanismes de la mémoire et des capacités cognitives sont multiples et extrêmement complexes. Mais dans le cadre de la trisomie 21, et d’autres pathologies d’ailleurs, on pouvait déjà observer des déficiences caractéristiques, un ensemble défini de dysfonctionnements plus ou moins importants. Plus je lisais de publications plus il me semblait évident que l’hippocampe jouait un rôle dans la trisomie 21. Je me suis alors rendu à un congrès scientifique sur la trisomie 21 qui a stimulé encore davantage ma volonté d’éclairer ce que je lisais de ma propre compréhension et d’un certaine forme d’intuition sans doute, le tout basé sur mon savoir sur la mémoire.

FJL : En somme ces congrès sont des plateformes fertiles d’échanges entre les chercheurs qui peuvent amener certains à ouvrir de nouvelles pistes dans un domaine particulier en contribuant à la réflexion commune grâce à leur propre champ d’expertise ?

Lynn Nadel : Parfaitement, ces rencontres sont essentielles pour dynamiser la créativité des uns et des autres, notamment dans des domaines de recherche moins connus ou très spécifiques qui peuvent grandement bénéficier des expertises voisines, dans mon cas la mémoire, et qui peuvent également apporter des connaissances nouvelles à des voies de recherche plus centrales, je pense notamment à l’apport des recherches sur la trisomie 21 vers la maladie d’Alzheimer. En anglais nous parlons de « crossfertilization ». C’est fondamental pour avancer.

La trisomie 21 dans ce sens doit miser sur ces échanges précisément parce que cela reste un domaine peu soutenu financièrement, voire pas, pas les financeurs publics et je pense qu’en ce sens la situation est relativement la même en France et aux Etats-Unis. Le montant par habitant alloué à cette pathologie est extrêmement faible au regard d’autres pathologies, y compris de certaines maladies rares. Ce sont des acteurs privés qui majoritairement soutiennent ces recherches, à l’image de la Fondation Lejeune aux Etats-Unis notamment. Pourtant, comme évoqué à l’instant vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer, toutes les avancées dans un domaine peuvent irriguer par capillarité les domaines voisins et ainsi de suite.

FJL : Plongeons plus spécifiquement encore dans le sujet : ce à quoi vous vous attelez depuis plus de 15, c’est l’évaluation. Le mot a un sens très large en français, probablement aussi en anglais, de quoi s’agit-il dans le cadre des retards mentaux d’origine génétique ?

Lynn Nadel : Partons de cas précis : disons qu’un chirurgien ou un médecin souhaite faire une opération, une étude, qu’elle soit environnementale, chirurgicale, comportementale ; la seule manière de savoir si cette action à un impact positif ou non, il est essentiel de mettre en place un protocole précis de prise de mesures avant et après pour s’assurer de son effet. Les batteries de tests que je mets en place dans le cadre d’études d’évaluation sont exactement basées sur le même principe appliquées aux capacités cognitives des patients atteints de trisomie 21. Il s’agit de donc de donner une assise scientifique, précise et fiable à une étude.

FJL : En quoi est-ce un enjeu particulièrement important mais également un défi dans le cadre de la trisomie 21 notamment ?

Lynn Nadel : La principale difficulté vient du fait qu’il faut prendre en compte les déficits initiaux pour mettre au moins une méthodologie fiable. En particulier pour la trisomie 21, il est essentiel de connaître les caractéristiques spécifiques de ces patients telles que les difficultés avec le langage, la perte rapide de motivation. Par conséquent, la proximité avec les patients, les familles, leur environnement, leur vie est un déterminante pour mettre en place des outils non biaisés. Si bien sûr il faut mettre en place des tests spécifiques pour chaque hypothèse ou médicament que l’on cherche à tester, il existe une convergence en termes de méthodologie pour s’assurer de la « robustesse » d’une évaluation, et cette assise est le résultat d’années et d’années de travail.

FJL : Quelles sont récemment les applications que vous avez pu faire des batteries de tests que vous avez mis en place ?

Lynn Nadel : Je peux évoquer deux exemples. Le premier est le cas de l’apnée du sommeil. Nous nous sommes intéressés à l’impact de ce phénomène sur les personnes atteintes de déficiences intellectuelles d’origine génétique. Il s’agissait notamment d’évaluer si ce trouble du sommeil avait ou non un effet de sur handicap sur ces patients par rapport à la population générale. Nous avons pu prouver qu’effectivement, l’apnée du sommeil a un impact aggravant particulier sur ces patients.

A l’inverse, nous avons pu montrer que les enfants qui grandissent dans des familles bilingues n’ont pas de problèmes supplémentaires par rapport aux autres enfants qui vivent dans un environnement similaire. Bien sûr, ils rencontrent des problèmes d’expression et d’apprentissage du langage liés à leur retard mental, et bien sûr pour tout enfant il faut faire un effort particulier pour parler deux langues plutôt qu’une, mais le fait que les parents parlent espagnol et anglais à la maison par exemple n’est pas un handicap supplémentaire pour les enfants atteints de retards mentaux que pour les autres enfants. Ces résultats ont été très importants pour les familles américaines dites « latinos » dont un enfant étaient atteint d’une pathologie de ce genre : ils ont cessé de culpabiliser d’échanger naturellement dans deux langues à la maison et sont devenus plus à l’aise ce qui en général est ressenti par leur enfant.

FJL : Vous parlez de cas précis, tirés de l’observation sur le terrain au plus proche des patients. Est-ce que cela vous arrive de la même manière de travailler en amont avec les chercheurs qui travaillent sur le plan purement fondamental ? Quelles sont vos interactions avec ces différents axes de recherche ?

Lynn Nadel : Oui, énormément et dans un double sens. L’évaluation joue à la fois un rôle d’éclaireur et de voiture balai. Je m’explique : dans les années 80 et 90, mon travail basé sur l’évaluation m’a permis de m’intéresser très spécifiquement à l’hippocampe comme une source potentielle de déficits de certains systèmes nerveux. C’est en travaillant ensuite avec les nouvelles techniques d’imagerie du cerveau et avec les chercheurs spécialisés dans les études sur les modèles de souris que ces pistes initiales ont pu être explorées et en l’occurrence validées. Les études sur les animaux sont formidables en ce sens qu’elles permettent de faire un nombre de tests formidables pour évaluer les capacités cognitives de ces souris en ayant un total contrôle de l’environnement et des facteurs d’influence en général. C’est évidemment beaucoup moins vrai avec des patients et c’est heureux ! En parallèle, les tests d’évaluation permettent à aval de valider ou d’infirmer la portée de travaux réalisés sur l’animal. Ce rôle de pont à double entrées est passionnant pour l’évaluation.

FJL : Cela prend tout son sens lorsque l’on revient à votre explication de départ sur les financements limités de champ de recherche, il est d’autant plus crucial de cibler en amont et de contrôler en aval plutôt que d’explorer le tout venant, est-cela ?

Lynn Nadel : Il est clair que l’évaluation permet de cibler des voies pertinentes de recherche et de conduire vers des résultats probants en interactions avec tous les acteurs des recherches. Ce sont les va-et-vient perpétuels qui permettent de ne pas se perdre et d’avancer de manière la fois raisonnée et très ambitieuse.

FJL : Quelles sont vos ambitions pour demain ?

Lynn Nadel : Aujourd’hui, les batteries de tests avec lesquelles je travaille me permettent d’être précis et fiable sur la tranche d’âge 10-25 ans des patients. Le double défi pour moi et d’entendre cette expertise vers les plus jeunes pour pouvoir mettre en place des solutions très tôt dans le développement et vers les plus âgés d’une part pour vérifier que ce qui se trame à l’enfant et à l’adolescence est toujours vrai, d’autre part pour accompagner au mieux dans la vieillesse et améliorer la qualité de vie jusqu’au bout, notamment parce que vous le savez, l’espérance de vie des personnes atteintes de déficiences intellectuelles d’origine génétique augmente grâce aux avancées passées. La suite et à construire et rien n’est jamais abouti ! 

 


Les Prix : Prix International Sisley-Jérôme LejeunePrix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune
Les Lauréat du Prix International Sisley – Jérôme Lejeune 2013 :  Lynn Nadel – Université d’Arizona – Yann Hérault – Illkirch
Membres du Jury International Sisley-Jérôme Lejeune 2013
Lauréats du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013 : Alexandra Trotier-Faurion, Elisabetta Aloisi, Aurore Thomazeau
Membres du jury du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013.
Dossier de Presse 2013

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