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Interview d’Alexandra Trotier-Faurion lauréate du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune

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15 Oct 2013 Interview d’Alexandra Trotier-Faurion lauréate du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune

Alexandra Trotier-Faurion est l’une des lauréates du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013 qu’elle reçoit pour l’excellence de ses travaux. Nous avons eu la chance de la rencontrer, elle répond à nos questions. 

Alexandra Trotier-FaurionAlexandra Trotier-Faurion est l’une des lauréates du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013 qu’elle reçoit pour l’excellence de ses travaux. Nous avons eu la chance de l’interviewer, elle répond à nos questions.

 

Fondation Jérôme Lejeune : Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?

Alexandra Trotier-Faurion : Je m’appelle Alexandra Trotier-Faurion. Je suis Docteur es Sciences et Docteur en Pharmacie option Industrie, diplômée de l’Université Paris-Sud (Faculté de Pharmacie de Châtenay-Malabry).

 

FJL : Pourquoi avez-vous choisi cette thèse ?

Alexandra TF : Ma thèse s’intitule : « Optimisation pharmacologique de dérivés de la créatine pour le traitement du déficit en transporteur de la créatine » et je l’ai réalisée au Commissariat à l’Energie Atomique et aux énergies alternatives, sous la direction du Dr Aloïse Mabondzo, au sein du Service de Pharmacologie et d’Immunoanalyse. Ce projet très ambitieux portait sur la mise en place d’une stratégie thérapeutique pour traiter une maladie neurologique pédiatrique rare.

J’ai choisi cette thèse pour son contexte et ses approches disciplinaires compatibles avec l’orientation que je souhaitais donner à mon projet professionnel. Outre l’aspect innovant et collaboratif du projet, les maladies rares sont pour moi un enjeu majeur. En effet, c’est un terrain vierge pour la recherche, original et attirant par les multiples possibilités qui s’offrent, mais également parfois difficile car tout ne se passe pas toujours comme prévu ! Cependant ces cas complexes peuvent devenir source de réelle innovation, ce qui signifie valeur des connaissances et progrès industriel.

Intéressée par la multidisciplinarité des sujets, deux collaborations scientifiques ont été engagées : l’une pour la mise en œuvre et la réalisation des procédés de synthèse chimique organique (Service de Chimie Bio-organique et de Marquage du CEA), la seconde pour la mise en place des aspects de formulation pharmaceutique (Unité U1066 de Micro et Nanomédecines Biomimétiques, Inserm). Aussi, j’ai eu l’opportunité de développer une certaine expertise en chimie organique, en culture cellulaire, en techniques analytiques et en formulation.

Par ailleurs, ce projet résultait d’une réflexion commune avec les praticiens hospitaliers référents de cette pathologie rare. En travaillant conjointement avec les professionnels du Centre de référence des Maladies Métaboliques héréditaires de l’enfant et de l’adulte à l’Hôpital Necker, j’ai pu appréhender leurs attentes, ce qui fut extrêmement enrichissant pour la poursuite de l’étude.

 

FJL : Le sujet de votre thèse est en grande partie sur la créatine : pouvez vous me présenter le mode de fonctionnement normal et son fonctionnement anormal pour les maladies rares ?

Alexandra TF : Vous connaissez probablement tous la créatine pour son utilisation en tant que supplémentation alimentaire chez les sportifs afin d’augmenter la masse musculaire ! Mais la créatine, qui est un dérivé d’acide aminé présent dans l’alimentation ou synthétisé par notre organisme, est également fondamentale pour le bon fonctionnement des neurones de notre système nerveux central. Pour cela, il faut qu’elle traverse la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau. Et cette fonction est remplie par un transporteur spécifique (le SLC6A8) qui joue le rôle de porte et laisse entrer la créatine dans le cerveau.

Malheureusement, il existe des maladies rares qui conduisent à un déficit en créatine cérébrale et qui sont très invalidantes pour les enfants : retard de développement, retard de langage profond, autisme, épilepsies pharmacorésistantes. Il peut y avoir deux causes principales de cette absence de créatine cérébrale : d’une part, un défaut de synthèse de la créatine dont les troubles peuvent être stabilisés voire corrigés par l’administration de créatine et d’autre part, un défaut du transporteur qui est un syndrome héréditaire et génétique lié au chromosome X. Découvert seulement il y a une dizaine d’années, il ne bénéficie à ce jour d’aucune option thérapeutique. Pour pallier ce déficit, le cœur de mon travail était donc de trouver un moyen de forcer l’entrée de la créatine dans le cerveau.

 

FJL : Qu’avez-vous recherché ? Qu’est ce que vous vouliez savoir et quels ont été le résultat de vos recherches ?

Alexandra TF : Dans le cadre de mon travail, le défi était de développer une stratégie thérapeutique pour le traitement du déficit en transporteur de la créatine en contournant l’absence de fonctionnalité du transporteur spécifique de la créatine.

Nous devions donc répondre aux questions suivantes :

  1. Est-il possible de synthétiser des prodrogues de la créatine, c’est-à-dire des composés chimiques qui passeraient la barrière hémato-encéphalique et qui, une fois absorbés, par le patient permettraient de libérer la créatine dans le cerveau ? 
  2. Ces molécules pourraient-elles y remplir leur fonction pharmacologique ? 
  3. Comment faire pour administrer ces molécules aux patients ?

Après de nombreux essais de synthèse chimique, nous réussi à synthétiser des prodrogues de la créatine sous la forme d’esters de créatine. Ces esters de créatine résultent d’un couplage chimique entre la créatine et des molécules endogènes. Ceci présente trois intérêts : tout d’abord, cela permet d’augmenter la lipophilie de la créatine et donc de favoriser son passage passif à travers les membranes cellulaires ; ensuite, cela limite la toxicité des composés produits et enfin, les esters sont des molécules dégradables grâce à des protéines que nous avons dans notre organisme.

Nous avons donc produit une collection de molécules variées ou chimiothèque qui a ensuite été évaluée pour ses propriétés pharmacologiques sur des modèles cellulaires (de barrière hémato-encéphalique et de neurones de rat). Lorsque nous avons évalué nos molécules, nous avons constaté que l’esterdodécylique de créatine était le meilleur candidat médicament potentiel. Par la suite, nous avons validé l’intérêt thérapeutique de cette molécule grâce à l’utilisation de cellules de patients atteints de la maladie. Ces cellules proviennent de biopsies de peau qui sont réalisées chez les patients en vue de leur diagnostic. Ceci nous a permis de confirmer l’intérêt thérapeutique de l’ester dodécylique de créatine : dans nos conditions expérimentales, le traitement des cellules malades avec l’ester a permis de voir apparaître de la créatine alors qu’elles n’en possédaient pas avant. La voie de synthèse chimique des esters de créatine est industriellement transférable et un brevet a été déposé sur cette synthèse chimique ainsi que sur les applications biologiques.

En parallèle, nous nous sommes demandé quelle était la façon la plus adaptée d’administrer ces produits chez les patients. Les esters de créatine ne peuvent pas être administrés tels quels car, en raison de leur composition chimique, ils sont dégradés très rapidement par des protéines présentes dans notre circulation sanguine, ce qui les empêche d’atteindre le cerveau. Nous avons donc développé une formulation galénique utilisant des nanoparticules biocompatibles afin d’encapsuler la molécule chimique. Ce procédé devrait permettre non seulement de protéger la molécule chimique d’une dégradation non souhaitée dans le sang, de favoriser l’administration cérébrale et la diffusion des esters de créatine dans le cerveau.

Enfin, nous avons tenu compte tout au long de ce travail des réglementations en vigueur pour le développement des médicaments pédiatriques dans le but de faciliter un développement futur de la molécule. Et ce projet pluridisciplinaire confirme également l’importance des collaborations entre les divers arts du développement pharmaceutique pour la mise en place des nouvelles stratégies thérapeutiques.

 

FJL : Quels sont les applications concrètes que peuvent avoir votre thèse au niveau pratique et thérapeutique ?

Alexandra TF : Le déficit en transporteur de la créatine est une maladie neurologique rare qui n’est décrite que depuis le début des années 2000. A ce jour, peu d’articles scientifiques présentent des options thérapeutiques exploitables pour le traitement du déficit en transporteur de la créatine. Ce travail de thèse apporte donc une nouvelle piste thérapeutique crédible validée dans des modèles cellulaires y compris pathologiques. Bien que ces résultats soient très prometteurs, il reste cependant beaucoup de travail avant d’envisager une administration chez les patients. Notamment, il faudra valider l’efficacité thérapeutique des nanoparticules encapsulant les esters de créatine chez l’animal puis chez l’homme. De plus, diverses études devront être menées afin de démontrer l’absence de toxicité chez l’homme. Aujourd’hui, la question du modèle animal est critique. En effet, il faudra dans un premier temps tester ces composés chimiques chez un animal présentant la même maladie que chez l’homme et nous souhaiterions initier une collaboration avec une équipe américaine qui possède le seul modèle animal du déficit en transporteur de la créatine existant actuellement. Si ces tests in vivo sont concluants et afin que ce nouveau médicament devienne un espoir thérapeutique concret, de nombreux développements restent à conduire notamment sur les essais cliniques par une industrie pharmaceutique. Il me parait cependant essentiel, qu’en parallèle, la recherche poursuive l’identification de nouvelles molécules susceptibles d’être elles-aussi des candidats actifs éventuels.

 

FJL : Que voulez vous faire dans les prochaines années ?

Alexandra TF : Je m’épanouis aujourd’hui dans des environnements pluridisciplinaires alliant la chimie et la biologie. C’est pourquoi je souhaite me tourner tout particulièrement vers le développement des nanomédecines. Aussi, je reste très motivée par les projets innovants dans le domaine du développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.

 

FJL : Votre ambition pour votre fin de carrière ?

Alexandra TF : Je souhaiterais avoir contribué efficacement au progrès de la médecine à l’aide de stratégies innovantes pour l’industrie pharmaceutique. Ce serait une belle réalisation professionnelle et personnelle.

 


Les Prix : Prix International Sisley-Jérôme LejeunePrix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune
Lauréats du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013 : Alexandra Trotier-Faurion, Elisabetta Aloisi, Aurore Thomazeau
Membres du jury du Prix Jeune Chercheur Jérôme Lejeune 2013.
Les Lauréat du Prix International Sisley – Jérôme Lejeune 2013 :  Lynn Nadel – Université d’Arizona – Yann Hérault – Illkirch
Membres du Jury International Sisley-Jérôme Lejeune 2013
Dossier de Presse 2013

 

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