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Questions / Réponses sur la controverse à propos de la découverte de la trisomie 21

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23 Mai 2022 Questions / Réponses sur la controverse à propos de la découverte de la trisomie 21

Questions / Réponses sur la controverse à propos de la découverte de la trisomie 21

Qui a découvert la cause de la trisomie 21 en fin de compte ?

1) La découverte de la cause de la trisomie 21 fut d’abord le résultat d’un long travail d’équipe, patient et progressif, incluant Marthe Gautier, mais aussi d’autres chercheurs. Gautier affirmait pourtant qu’elle avait découvert la cause « seule, avec ses laborantines », ce qu’elle contredisait aussitôt en avouant qu’elle n’avait pas le matériel nécessaire pour prouver « sa découverte » (voir questions suivantes).

2) Jérôme Lejeune a clairement eu le rôle moteur et celui de coordinateur des recherches, sous l’impulsion du chef du laboratoire Raymond Turpin. Il a bien identifié, indiqué à la date du 22 mai 1958, pour la première fois, un patient « mongolien » qui avait un chromosome surnuméraire.

Le Carnet d’analyse du Laboratoire d’études nucléaires, laboratoire auquel sont rattachées ses recherches, qu’il commence le 10 juillet 1957, indique à la date d’analyse du 22 mai 1958, qu’il parvient à identifier pour la première fois sur un enfant mongolien la présence de 47 chromosomes. Il identifie un autre cas indiqué à la date du 13 juin 1958, mais précise pour celui-ci, de sa grande écriture : “syndrome intersexué”, “aurait 47 chromosomes”. Il ne s’agit donc pas ici de mongolisme et il le sait. Ses notes (ses accents mis dans la marge) indiquent qu’il réalise l’aspect extraordinaire de l’observation du 22 mai. Il a hâte de la confirmer mais il n’en a pas le temps tout de suite car Turpin l’envoie au Canada et aux Etats-Unis pendant trois mois. Au Canada, il intervient au Congrès de génétique de Montréal puis à un Séminaire de génétique à la Mac Gill University, avant de donner un cours de génétique humaine dans le prestigieux service du Pr Beadle, de l’Institut de Technologie en Californie.

Références :

Couverture du carnet de laboratoire tenu par Jérôme Lejeune
Page du carnet de laboratoire qui indique les premières observations datées

Marthe Gautier a-t-elle, comme elle l’affirme, été la première à compter 47 chromosomes ?

1) Les déclarations de M. Gautier d’avoir pu « réussir seule avec (s)es laborantines (…) à mettre en évidence une anomalie » sont contradictoires. Il est impossible que M. Gautier ait pu établir le comptage des chromosomes toute seule. Elle le dit elle-même dans ses différentes déclarations, puisqu’elle affirme que « Le chromosome supplémentaire est petit, le labo n’a pas de photomicroscope qui permettrait d’attester de sa présence et d’établir le caryotype » puis avoue ensuite que, sans photo, il est impossible d’attester de la présence d’un chromosome supplémentaire…

2) Ensuite, la preuve que Marthe Gautier n’a pas fait le décompte la première est apportée de façon non équivoque par une lettre de Turpin datée du 27 octobre 1958 où celui-ci déclare à Lejeune en voyage à l’étranger : « Mlle Gautier et Mme Massé en sont toujours à 46. »

Références :

Articles montrant des accusations imprécises, changeantes et contradictoires de Marthe Gautier sur ce point :

Lettre de Raymond Turpin à J. Lejeune du 27/10/1958 :
Page du carnet de laboratoire qui indique les premières observations datées

Jérôme Lejeune a-t-il « séquestré » la photo qu’aurait faite Marthe Gautier ? Et donc volé sa découverte ?

1) L’argument de la photo ne tient pas puisque Marthe Gautier n’avait pas besoin de la photo pour publier. La publication ne comprend pas de photo.

En outre, qu’est-ce qui empêchait Marthe Gautier de refaire la photo, de rédiger la publication, de la proposer au Pr Turpin, pendant les trois mois d’absence de Lejeune, si c’était elle qui faisait tout et si Lejeune n’était qu’un stagiaire inutile ?

Effectivement, si Marthe Gautier avait eu le rôle prépondérant, pourquoi n’a-t-elle pas lancé la publication sans attendre le retour de voyage de Lejeune à l’automne 1958 ?

2) Comme indiqué ci-dessous, la correspondance entre Gautier et Lejeune dans les mois et années qui suivirent la « séquestration » témoignent d’une collaboration étroite, cordiale et efficace entre eux. On voit mal comment cela aurait été possible après une séquestration et un supposé silence de Lejeune.

Références :

Lettre de Marthe Gautier à Lejeune du 20/10/1958 démontrant leur étroite collaboration
Page du carnet de laboratoire qui indique les premières observations datées

Est-ce que Marthe Gautier, comme elle l’affirmait, ne connaissait pas Lejeune avant la découverte ? Travaillait-elle seule ? Les rapports entre les membres de l’équipe étaient-ils distants ou tendus ?

Au contraire, les archives montrent un travail d’équipe travaillant en bonne entente et de façon complémentaire tout au long du processus.

1) Une lettre que Marthe Gautier envoie à Lejeune, en voyage, en juin 1957 discrédite ses propres accusations prétendant qu’elle n’aurait pas connu Lejeune, « un nouveau venu », en juillet 1957. Elle débute sa lettre par « Cher ami, très heureuse d’avoir de vos nouvelles », et le tient au courant de leurs travaux.

2) Marthe Gautier travaillait à temps partiel dans le service du Pr Turpin, mais en collaboration étroite avec l’équipe et en particulier avec J. Lejeune. Elle entretient une correspondance régulière avec lui dès que celui-ci voyage (au moins trois lettres en témoignent) entre 1957 et 1958.

Le professeur Turpin, chef de service, est d’évidence bien au courant des travaux de Marthe Gautier, comme en témoignent notamment ses lettres du 27/6/1957 puis du 12 et du 27/10/1958 qu’il envoie à Lejeune aux Etats-Unis. Il dit notamment le 12 octobre « Mademoiselle Gautier m’écrit toujours régulièrement ».

Enfin, les relations professionnelles de confiance entre Lejeune et Gautier durent au moins encore trois années après la première publication sur la découverte. Dans sa correspondance à sa femme, Lejeune cite Gautier régulièrement et en des termes positifs qui prouvent que leur collaboration est bonne et continue. Dans une lettre datée du 12 juillet 1962, Lejeune écrit “Gautier qui était arrivée s’est montrée absolument charmante (…) Elle a promis d’aider”.

3) Le contenu de tous les courriers montre clairement une collaboration cordiale et active, et non distante et tendue, même au fil du temps. Marthe Gautier débute toutes ses lettres à Lejeune, qui est aux Etats-Unis, par « Cher ami » et lui demande même dans sa lettre du 20/10/1958 : « Piquez tous les tuyaux que vous pouvez quant aux cultures de tissus et tous les tirés à part que l’on donne au hasard de vos visites.»

Références :

– Lettres de Lejeune à sa femme Birthe du 2/7/1961, 16/7/1962 et du 30/7/1962.

Lettre de Marthe Gautier à Lejeune du 20/10/1958 démontrant leur étroite collaboration
Lettre de Raymond Turpin à J. Lejeune du 27/10/1958 :
Lettre de Lejeune à Gautier du 5/11/1958 montrée par Gautier dans son article sur le cinquantenaire de la découverte de la trisomie 21

Lejeune n’était-il qu’un simple stagiaire à l’époque, et inférieur en hiérarchie à Marthe Gautier ? Est-ce que Gautier a le rôle moteur dans la découverte qu’elle décrit ?

1) Le Docteur Lejeune n’était pas un stagiaire de recherche en 1958, contrairement à l’affirmation de Marthe Gautier, mais chargé de recherche (au CNRS), ce qui signifie dans la hiérarchie universitaire française, deux grades supérieurs et les responsabilités qui y sont attachées.

Lorsque M. Gautier entre dans l’équipe, J. Lejeune a déjà une place importante dans l’équipe du Pr Turpin qu’il gardera tout au long de la période de la découverte. En 1957 il est déjà nommé expert auprès de l’ONU, sur les radiations atomiques, et en 1958 il est envoyé par Turpin pour « défendre la position de la génétique française » au prestigieux congrès scientifique de Montréal. Turpin lui confie la rédaction d’articles et surtout la rédaction du livre sur les chromosomes, et enfin il le soutient dans le projet de création de l’Institut de Progénèse… Melle Gautier n’est citée dans aucun de ces ‘dossiers’ (tandis que Melle Rethoré, autre membre de l’équipe l’est, ce qui nous incite à penser que Turpin aurait également cité Marthe Gautier si elle avait collaboré).

2) Lejeune a le rôle moteur de l’équipe. Pour preuve : lorsqu’il est en voyage, Gautier elle-même avoue que le travail n’avance pas. Les notes du laboratoire, celles de Lejeune dans son journal et les multiples correspondances de l’équipe et celles privée pointent vers Lejeune comme le personnage central vers qui convergent les rapports et de qui partent les hypothèses de recherche.

À l’inverse, une multitude de courriers font comprendre que Marthe Gautier n’est pas le personnage central qu’elle déclare être et Jérôme Lejeune n’est pas ce jeune “stagiaire” “nouveau venu au laboratoire” qu’elle décrit. Bien qu’ayant initié une culture de cellules cardiaques en juin 57, Melle Gautier est une personne peu présente : “Je n’ai pas vu Mademoiselle Gautier (assistante à Bicêtre) car elle ne doit venir que l’après-midi.”

Références :

Correspondance de R. Turpin à Lejeune du 29/6/57, 5/9/1958, 12/10/1958, 20/10/1958 etc.

Synthèse datée des titres et des postes de recherche de J. Lejeune dans une publication officielle
Correspondance de J. Lejeune avec sa femme et son journal personnel, notamment du 16/1/1959

Est-ce que Lejeune est ce personnage à la carrière « jusque-là peu brillante » et opportuniste que Marthe Gautier décrit ? Est-ce qu’il a publié « en toute hâte » le premier article sur la découverte pour doubler les autres équipes de recherche internationale ?

1) L’intérêt et l’expertise de Lejeune, en particulier pour la génétique, contestés par Gautier, sont prouvés très tôt et ne seront jamais démentis. Ceci rejette au loin les accusations d’opportunisme.
Lejeune a publié 24 articles sur le sujet entre 1952 et 1957 (donc avant la découverte de 58), Gautier aucun, car elle était cardiologue et ne s’intéressait pas au mongolisme.

Jérôme Lejeune rappelle souvent dans son journal personnel que son but n’est pas la découverte ou les honneurs scientifiques, mais d’aider ses patients. Dans ses notes du 16 janvier 1959, juste avant la publication du premier article, il le dit bien : « Ce n’est pas tout de leur découvrir un chromosome aberrant, il faudrait aussi savoir ce qu’ « il » fait ! (…) Rendre un mongolien capable d’être nommé Professeur à la Faculté de Médecine de Paris ! Voilà le rêve de mon existence. ».

2) Lejeune est convaincu très tôt de la découverte mais reste prudent et applique scrupuleusement une démarche scientifique. Il veut avoir au moins trois cas évidents d’observations de 47 chromosomes avant de publier. A son retour des Etats-Unis, en décembre 1958, il se remet à la tâche et trouve deux nouveaux caryotypes à 47 chromosomes, (alors que Marthe Gautier n’a rien trouvé pendant son absence), ce qui leur permet de publier cette découverte début janvier 1959, comme son journal en témoigne.

Références :

Titres et travaux scientifiques de Jérôme Lejeune, 1972, l’Expansion Française

Synthèse datée des titres et des postes de recherche de J. Lejeune dans une publication officielle
Journal personnel de Lejeune le 16 janvier 1959 et le 7 mars 1959

Lejeune s’est-il attribué la découverte ? A-t-il reçu tous les honneurs par la suite pour son rôle dans cette découverte, et notamment le prix Kennedy sans en partager la récompense?

1) Jérôme Lejeune, comme le montre son journal et ses déclarations publiques, ne s’est jamais attribué la découverte lui-même. On la lui a attribuée de fait. C’est le Pr Turpin qui a reconnu Jérôme Lejeune comme l’auteur principal de la découverte, en lui demandant de signer en premier l’article princeps. Mais Lejeune ne manque pas une occasion de remercier ou d’honorer ses collaborateurs. Dans une lettre du 5 novembre 1958, il remercie Marthe Gautier pour ses « excellentes préparations » alors que Turpin le félicite lui (lettre de Turpin à Lejeune datée du 27/10/1958). Lors de sa Leçon inaugurale à la première chaire de génétique fondamentale de Paris en 1965, il cite et honore longuement chacun des membres de l’équipe. Il salue sa «chère Marthe Gautier» et reconnait sa contribution unique à la découverte, citant son «habileté» et sa «ténacité» pendant «deux années d’échecs et de demi-succès ».

2) En 1962, Lejeune reçoit le prix Kennedy pour l’ensemble de ses travaux et pas uniquement pour son rôle dans la découverte. Cette remise intervient suite à la suite d’une enquête que l’équipe de la Fondation Kennedy, en visite à Paris, a réalisée auprès de ses collègues, en présence de Gautier, mais en l’absence de Lejeune  qui était à l’étranger. La lettre de la Fondation Kennedy annonce que Lejeune reçu 8,333 Dollars (environ 6000 €) pour son usage personnel et 25,000 Dollars (environ 18 300€) comme «subvention exclusive d’un programme de recherche».

Références :

Lettre de Lejeune à Gautier du 5/11/1958 montrée par Gautier dans son article sur le cinquantenaire de la découverte de la trisomie 21
Extrait de la leçon inaugurale de J. Lejeune le 10 mars 1965 saluant Marthe Gautier

Transcription de la lettre annonçant la remise du Prix Kennedy à Lejeune datée du 4/12/1962

Pourquoi cette polémique ?

Nous remarquons que le manque de discernement et de mesure des accusateurs est étonnant. Ils accusent Jérôme Lejeune ‘d’usurpation’ sur la seule parole de Marthe Gautier et sans que celle-ci n’apporte aucune ‘preuve’. Le fait est d’autant plus étrange que ces auteurs, scientifiques, sont habituellement prêts à rejeter comme faux tout ce qui n’est pas démontrable. Mais dans le cas de Lejeune, ils condamnent sans enquête et sans preuve. Pourquoi cet empressement à balayer 50 ans d’histoire, à épouser la cause de Marthe Gautier ? Sans pouvoir répondre avec certitude, nous remarquons seulement que derrière ces accusations, pointent des désaccords ‘idéologiques’ avec Jérôme Lejeune. Les personnes que Marthe Gautier remercie dans ses premiers articles sont des pionniers notoires du diagnostic prénatal et de l’avortement des enfants trisomiques en France (le Pr. Boué, célèbre pionnier du diagnostic prénatal, le Dr Chartier, célèbre pionnier de l’avortement et des fécondations in vitro à l’Hôpital catholique Notre-Dame-du-Bon-Secours à Paris [et l’on sait que le Pr Lejeune a aidé l’hôpital à interrompre ces activités à la demande du cardinal Lustiger et que cela lui a valu une violente campagne de presse de la part du Dr Chartier ].

Marthe Gautier remercie aussi Simone Gilgenkrantz, qui a été une des pionnières du diagnostic prénatal, conduisant à l’élimination des enfants porteurs de trisomie 21.

On est donc en droit de se demander si des motivations non scientifiques, mais d’ordre politiques ne sont pas venues provoquer – et biaiser – les accusations de Marthe Gautier et sa relecture de l’histoire. Et ce malgré les évidences.

Références :

Découverte de la trisomie 21 : 

ce qu’en disent témoins oculaires de la découverte et anciens collaborateurs du laboratoire

SOMMAIRE 

I. Résumé – Principaux points de la controverse

II. Questions/Réponse
A. Qui a découvert la cause de la trisomie 21 en fin de compte ?
B. Marthe Gautier a-t-elle, comme elle l’affirme, été la 1ère à compter 47 chromosomes ?
C. Est-ce que Lejeune a « séquestré » les préparations de Gautier ? Et donc volé la découverte à Gautier ?
D. Est-ce que Marthe Gautier, comme elle l’affirme, ne connaissait pas Lejeune avant la découverte ? Travaillait-elle seule ? Les rapports entre les membres de l’équipe étaient-ils distants ou tendus ?
E. Lejeune n’était-il qu’un simple stagiaire à l’époque, et inférieur en hiérarchie à Marthe Gautier ? Est-ce que Gautier a le rôle moteur dans la découverte qu’elle décrit ?
F. Est-ce que Lejeune est ce personnage à la carrière « jusque-là peu brillante » et opportuniste que Marthe Gautier décrit ? Est-ce qu’il a publié « en toute hâte » le premier article sur la découverte pour doubler les autres équipes de recherche internationale ?
G. Lejeune s’est-il attribué la découverte ? A-t-il reçu tous les honneurs par la suite pour son rôle dans cette découverte, et notamment le prix Kennedy sans en partager la récompense ?
H. Pourquoi cette polémique arrive-t-elle maintenant ?

III. Réponse de la Fondation à l’avis du comité d’éthique de l’INSERM (septembre 2014)
IV. Focus : La technique ne fait pas la découverte
V. Mythes et réalité : la véritable chronologie

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